Cinéma français et politique: l'Exercice de l'Etat, la référence du genre..
Mercredi soir dernier, l’équipe de Baz’art (presque) au grand complet était sur le pied de guerre pour présenter dans le- génial mais hélas sans doute trop méconnu cinéma de quartier- Ciné Duchère le film L'exercice de l'état, et ce, dans le cadre des 20 ans du Festival Télérama qui proposait 20 films sortis entre 1996 et 2016, sélectionnés par vote par les lecteurs de l'hebdomadaire.
Si l’exercice de présentation et d’animation de débat est un vrai métier qui est très éloigné de l'analyse écrite ,et qui requiert des qualités d'orateur que je ne possède pas vraiment (j’ai pu le mesurer à cette occasion), l’expérience fut d’autant plus enrichissante que le film en question – qui était passé exactement au même moment sur Arte, difficile dans ses conditions de faire venir beaucoup de spectateurs - est vraiment passionnant et surtout tombe parfaitement à point dans l’optique des élections présidentielles qui se profilent.
En effet, force est de constater que la sortie en salles de L’Exercice de l’État en octobre 2011 fut un vrai évènement pour le cinéma français, car traite un sujet, celui de la vie politique vue de l’intérieur qui n’avait été jusqu’à présent que peu voire pas du tout abordé par le cinéma de fiction en France.
La singularité du film de Pierre Schoeller, cinéaste qui n’avait réalisé que Versailles en 2008 sur des personnes situées sur l'extrême inverse du versant de la société française (les SDF), est de se présenter comme une vraie plongée à l'intérieur de la sphère politique dont l'objectif est vraiment de nous présenter des hommes politiques qui sont avant tout des hommes, sans manichéisme, avec leurs grandeurs et leurs faiblesses.
Des hommes qui doutent, s’enivrent, mangent, séduisent, baisent, bref, qui se livrent à autant d’activités humaines qui les rendent proches de nous. Sauf qu’en ce qui les concerne, leurs actions ont un impact sur la population tout entière.
Tout, dans le film de Schoeller, sonne admirablement juste et donne une impression solide de crédibilité, aussi bien au niveau des événements, des différents détails d’une scène et des dialogues – très bien écrits – que des personnages.
Le film évite constamment le piège du populisme et du manichéisme, et s’il donne certes une image très noire de la politique ‘L’État c’est devenu une misère. Une vieille godasse qui prend l’eau de partout", comme dit le directeur du cabinet du ministère des finances à Michel Blanc), et surtout il montre avant tout des personnages complexes et ambigus, certes ambitieux et orgueilleux, mais souvent complexes et que l’on peut difficilement juger de but en (Michel?) blanc…..
En choisissant comme personnage principal ce ministre des transports- très subtilement interprété par un Olivier Gourmet au mieux de sa forme- un homme politique nuancé et contradictoire, qui essaie tout à la fois d’être intègre et ambitieux (deux qualités difficilement compatibles dans la sphère politique), et qui ne se sent pas à l'aise avec ses convictions dans le gouvernement auquel il appartient, le scénario touche au cœur par la subtilité de son écriture.
Une des grandes forces du film de Schoeller est de montrer, avec une précision étonnante, combien l’État "dévore" littéralement ceux qui le servent, et ceux qui veulent entrer dans son antre-comme la jeune fille de la première scène très onirique du film.
Soumis aux aléas des financiers, décrédibilisé auprès de l’opinion publique, Saint Jean ne dérogera pas à la régle, en étant finalement simplement réduit à une image assez floue, comme la directrice de communication (excellente Zabou Breitman) le lui reprochera à un moment, et ildoit malgré lui se résoudre à accepter cette évidence : la politique est devenue un jeu qu’il faut jouer envers et contre tout.
Même en montrant des hommes politiques humains avec leurs failles et leurs faiblesses, L’Exercice de l’État, aboutit finalement à un sentiment d’impuissance voire d’échec.On est loin de l’ idéal du pouvoir à laquel s’accroche certains de ces politiciens, comme par exemple le- si dévoué- directeur du cabinet, joué par un fantastique Michel Blanc, césar du meilleur second rôle aux césars 2012, et qui écoute en boucle la mythique oraison funèbre de Jean Moulin par Malraux.
Par ailleurs, le long métrage de Scholler prend soin d’illustrer avec une grande finesse la rupture entre les politiques et le peuple de façon assez concrète (le repas dans la caravane du chauffeur du ministre ; les manifestations et grèves qui ponctuent le film, etc.), tantôt de façon plus symbolique. A cet égard, le chauffeur interprété par Sylvain Deblé est bien entendu un personnage clé qui représente la majorité silencieuse dont l’honnêteté forme un contraste évident avec l’univers verbeux, fourbe et parfois superficiel de la politique.
Encore une fois, la justesse de l’écriture et du jeu des comédiens permettent d'éviter le piège de manichéisme et de la simplification.
On pourrait parler encore longtemps de ce film ( le débat a duré une vingtaine de minutes, il aurait pu en faire largement le double,) mais ce qui est sur c’est qu’avec L’Exercice de l’Etat, Pierre Schoeller signe sans doute le film français le plus réussi et le plus abouti sur l’univers de la politique qui n'ait jamais existé, du moins à ce jour.
On peut en effet oser espèrer , sans cependant trop y croire au vu de la frilosité ambiante, que l’année 2017 et les élections qui auront lieu vont donner envie aux réalisateurs et aux divers financeurs de prendre la relève d’un film qui a déjà six ans...
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