Parlez moi encore de lui : Lisa Vignoli fait revivre l'iconoclaste et attachant Jean Michel Gravier
"-Ca te dit quelque chose Jean Michel Gravier?
Le plus souvent, je n'aimais pas vraiment dire que je ne connaissais pas. Une manie gardée de l'enfance Depuis j'avais appris que l'avouer faisait grandir un peu.
"Non pas du tout."
-"C'est sûr, quand il est mort en 1994, tu devais être gosse. Il était journaliste, une vraie plume, et dans notre métier, dans les années 80, c'était une petite star, un chroniqueur reconnu. Je l'ai rencontré un peu plus tard, j'avais vingt ans, au début des années 90. Mais je sais qu'il a joué un rôle très important pour pas mal de gens dans la culture. Il a presque fait ressortir un film de Jean Jacques Beinex. C'est lui qui emmené Valéria Bruni Tedeschi à son premier festival de Cannes. Il a filé des bons plans à des producteurs qui en ont fait leur fortune. Et puis c'était un ami, un proche d'Adjani, de Barbara aussi. Tu l'aurais adoré"
Le journaliste qui vante à la jeune journaliste Lisa Vignoli ( journaliste culturelle prometteuse qui officie notamment dans le magazine du monde M) les mérites de ce Jean Michel Gravier, c'est Bruce Toussaint, un de nos plus brillants et intègres journaliste qui officie dans le PAF, et c'est peu de dire qu'il a tapé dans le mille en lui chantant les louanges de ce chroniqueur mondain, touche à tout de génie des années 80.
Car, en faisant des recherches sur Gravier, Vignoli va en effet faire connaissance avec une personnalité complexe et étonnante, totalement paradoxale, et qui aura effectivement beaucoup compté dans la sphère culturelle des années 80, ces années si particulières dans le petit monde parisien, entre début des années pop, et irruption de la tornade sida qui n'aura pas épargné Gravier lui même.
Dans Parlez-moi encore de lui, un peu comme le fait Philippe Jaenada dans ses derniers fabuleueux romans, Lisa Vignoli met ses propres pas dans ceux de Jean-Michel Gravier.
Et elle nous retrace avec ce qu'il faut d'empathie et de pertinence, et une plume particulièrement alerte, le parcours de ce journaliste au regretté Matin de Paris et chroniqueur libre, capable de détruire un film ou un artiste plus violemment que 100 twittos réunis ( le pauvre Thierry Le Luron en a notamment fait les frais comme le raconte Vignoli dans le livre) mais en même temps remuer ciel et terre pour défendre une oeuvre ou une actrice qu'il aimait profondément, un peu à la manière d'un Dominique Besnehard, avec qui Gravier était proche et que Vignoli a d'ailleurs interrogé pour écrire ce livre.
Cette figure mondaine des années 1980 – 1990 valait bien plus que son image qu'il a parfois renvoyé, celle d'un simple groupie admirateurs de stars comme Adjani, Anouk Aimé ou Deneuve, on voit à quel point c'était surtout un être et une plume éprise infiniment libre dans une société et un monde, où le journalisme avait encore ses lettres de noblesse qu'il a un peu perdu depuis.
Caroline Loeb, Dominique Besnehard, Isabelle Adjani, Jean Jacques Beinex : toutes ces personnalités rencontrées par Lisa Vignoli pour écrire son livre se souviennent avec émotion de cet homme terriblement attachant et ambivalent, qui aurait rêvé de laisser des traces durables, d'être un illustre romancier, mais dont le seul roman les clefs de la plage, écrit en 1991 finira, vingt cinq après, dans une seule bibliothéque de France, en Haute Loire,
En découvrant à quel point cet homme était passionnant et a considérablement oeuvré pour la culture, on ne peut que louer la belle tentative de Lisa Vignoli de le réhabiliter.
Lisa Vignoli, Parlez-moi encore de lui, Stock, 3 mai 2017, 240 pages