Mon interview de Marcela Said , réalisatrice de "Mariana "
On vous en a parlé lundi après midi dans notre dernière critique cinéma à ce jour : Mariana, (Los perros, en V.O), le film de la chilienne Marcela Said, et également son deuxième long-métrage après un joli "L'été des poissons-volants" il ya quelques années , sort en salles ce mercredi.
Ce second long métrage de fiction d'une cinéaste, ayant d'abord passé par le documentaire, en dit beaucoup sur une bourgeoisie chilienne mal remis des démons de la dictature de Pinochet.
Lors de son passage sur Lyon fin novembre où elle était venue présenter son film au cinéma le Comedia, j'ai eu la chance- et j'étais même tout seul- de rencontrer la cinéaste, qui a très gentiment répondu pendant près d'une heure, à toutes les questions que j'ai voulu lui poser sur son très beau film.
INTERVIEW DE MARCELA SAID, REALISATRICE DU FILM "MARIANA" EN SALLES
CE MERCREDI 13 DECEMBRE 2017
Baz'art : Le titre original de votre film en espagnol Los Perros signifie « Les chiens » : Pourquoi,pour la sortie du film en France le modifier en « Mariana » un titre un peu plus passe-partout ?
Marcela SAID : Le changement de titre, je n’y suis pas pour grand-chose, c’est une décision du producteur et des distributeurs français, mais cela ne change rien au film , pour moi c’est juste une question d’habillage.
Disons qu’ils ont considéré que « Mariana » avait quelque chose de plus universel, de moins clivant, et plus européen, en axant plus le film sur la dimension " portrait de femme", insistant plus sur le destin de mon héroïne que sur les personnages masculins en question ces fameux chiens en question.
Baz'art : Mais d’ailleurs, quels sont exactement les chiens que vous visez dans ce titre original ?
Marcela SAID : Par « chiens », je veux parler des quatre hommes qui entourent Mariana et entre lesquels elle est coincée. : Son père, son mari, le policier, le professeur d’équitation.
Tous ces hommes, très très machos, ont tendance à lui donner des ordres et à l'infantiliser, et certains même depuis qu'elle est toute petite.
Mais les chiens, ce sont aussi les militaires qui ont été chargés des basses besognes pendant la dictature de Pinochet, qui ont été » utilisés » comme des chiens pour faire le sale boulot et plus généralement ceux qui ont collaboré avec le fascisme, ou ceux qui en ont plus ou moins directement profité, comme mon film le montre bien je pense.
Mon propos initial, en commençant à travailler sur le film, était de traiter la complicité des civils avec la dictature : Les militaire,s qui ont fait le sale boulot, ont été les seuls à être condamnés et à le payer aujourd’hui, et "Mariana"- le film- cherche à raconter cette injustice.
Et sinon, de façon plus pragmatique et concrète, il y a plusieurs vrais chiens dans mon films, deux chiens qui appartiennent à Mariana et ceux qu’on voit sur les tableaux qui sont régulièrement présents dans les scènes du film. Il faut savoir qu’au chili, on trouve énormément de chiens errants dans les rues.
Baz'art : « Mariana « est un film très intéressant car il n’est jamais manichéen. Vous semblez, comme votre héroïne ressentir un mélange de fascination et de répulsion pour les monstres, c’est quelque chose qui était présent dès le début de l’écriture de votre film ?
Marcela SAID : Ah oui, dès le départ, l’enjeu du film était de travailler les nuances et que mes personnages soient tous gris, complexes, comme dans la vie, en fait. Où rien n’est ni tout noir ni tout blanc et ni méchants ni gentils.
Je ne voulais surtout pas que Mariana soit une héroïne comme dans les films Hollywoodiens, c’était vraiment la donnée de base de mon scénario et je n’ai jamais changé de cap le dessus.
Mariana n’est pas un individu qui de suite va agir selon des valeurs de bien ou de mal, un peu comme le personnage de Jessica Lange dans "Music Box ",auquel on pourrait comparer Mariana, puisqu’elle apprend aussi que son père a fait des actes odieux dans son passé.
Et les personnages qui entourent Mariana sont pareillement nuancés : le policier qu’on pourrait penser qu’il est droit et intègre va se montrer très violent dans sa relation charnelle avec Mariana alors que le colonel, considéré par la société civile comme un bourreau peut montrer beaucoup de tendresse pour Mariana.
Baz'art : Mais du coup, en cultivant cette ambiguïté, et également en ne répondant pas totalement aux codes du film enquête comme peut l’être justement "Music Box" ou "l’histoire officielle "auquel on pense aussi beaucoup, vous n’avez pas peur de dérouter les attentes du spectateur qui ne sait plus trop ce qu’il l’attend ?
Marcela SAID : Alors ça, au contraire, c’est exactement ce que je cherchais à faire comme réalisatrice.
En tant que spectatrice j’ai toujours préféré largement les films qui surprennent le spectateur, qui ne l’amènent pas où il avait prévu d’aller, je pense à des films comme ceux de Michael Haneke ( La Pianiste notamment) ou bien encore le Portier de Nuit de Liliana Cavano.
J’ai tendance à trouver la simplicité terriblement ennuyeuse, vous n’êtes pas d’accord avec moi? (sourires).
Et puis sincèrement, pour moi respecter le public c’est penser qu’il est capable de comprendre même les situations et personnages moins balisés, et qu’il est ravi de participer au film en le faisant réfléchir sur telle ou telle scène.
Baz'art : Mariana montre une société chilienne très segmentée dans laquelle les classes sociales ne se mélangent pas, c’est quelque chose qui est constaté unanimement la bas ou c’est plus votre vision à vous ?
Marcela SAID : Ah j’ose espérer que je ne suis pas la seule à voir le Chili ainsi.
Après il est vrai que comme je suis parti en France pour y étudier (à la Sorbonne section cinéma) j’ai pu voir les différences avec la société chilienne et notamment le fait que chez vous les classes sociales peuvent se mélanger : lors de certaines soirées j’ai vu qu’un cadre peut parler à un policier ou à un ouvrier.
Au Chili, comme d’ailleurs en Argentine qui a connu aussi une dictature, c’est tout bonnement impossible. La société chilienne est divisée en un certain nombre de strates sociales qui vivent totalement indépendantes les unes des autres.
On aurait pu penser que le retour de la démocratie, il y a 25 ans atténue les inégalités sociales, au contraire elles me semblent être de plus en plus marquées et notamment, comme je le montre dans le film, parce que les classes dirigeantes qui ont toujours soutenu Pinochet, se sont largement enrichies sous sa tutelle, sans jamais en avoir été inquiétées et cela a creusé un fossé avec les classes populaires qui n'en ont nullement profité.
Après, il est certain que de toutes ces classes sociales, c’est la bourgeoisie qui en prend un sérieux coup dans mon film : il faut dire que je connais très bien la bourgeoisie chilienne ,puisque j’en viens- par exemple le père de Mariana est assez directement inspiré de mon propre père, et c’est vrai que je ne suis pas très tendre avec cette bourgeoisie.
C’est un milieu particulièrement hermétique qui marque profondément toute personne qui en fait partie, un monde particulièrement qui peut aussi se permettre quelques arrangements avec la morale ou les lois (sourire)
Baz'art : Comment avez-vous choisi votre actrice principale, Antonia Zaggers, vue notamment dans "No "et "El Club " de Pablo Larrain, et qui porte votre film à bout de bras ?
Marcela SAID : L’étape du casting a été assez longue à mettre en place, et notamment pour mon personnage féminin.
Il faut savoir qu’au tout début du projet, je voulais surtout parler des effets de la dictature de Pinochet sur la bourgeoisie, et c’est pendant l’écriture que le portrait de Mariana s’est imposé à moi, donc il était essentiel pour la réussite du film que je trouve une actrice largement à la hauteur.
J’ai vu plusieurs comédiennes pour ce rôle, mais dès que j’ai vu Antonia, avec sa forte personnalité et son énergie indéniable, j’ai su qu’elle serait ma Mariana. Et, avec Antonia, on a continué à fignoler le personnage pendant le tournage pour qu’elle incarne du mieux possible ce personnage complexe, perdu dans ses contradictions, constamment sur la brèche.
En fait, si vous voulez tout savoir, nous sommes partis du personnage que joue Gena Rowlands dans "Une femme sous influence" de John Cassavetes pour faire de cette Mariana une femme aussi forte que fragile, à la fois agaçante et émouvante.
Baz'art : Et pour lui donner la réplique, vous avez reformé le duo des religieux du génial film "El Club" en choisissant Alfredo Castro : c’était un clin d’œil assumé ?
Marcela SAID : Non pas vraiment (sourires) : vous savez, le Chili est un petit pays, comparé à la France, et les acteurs ne sont pas si nombreux que cela, donc on peut vite retomber sur les mêmes.
Mais Alfredo s’est très vite imposé à nous pour des raisons purement artistiques : c’est un comédien majeur au Chili, tout le monde connait la palette de jeu particulièrement subtile qu’il possède et il était capable d’apporter la lumière dont il dispose à ce personnage sombre et torturé qui sait qu’il a fait de mauvaises choses et qui ne se sent plus « aimable », malgré le penchant qu’il a pour Mariana..
Baz'art : Quelle est votre ligne directrice concernant vos choix de mise en scène particulièrement tranchants et qui confortent ce sentiment de confusion dont on parlait tout à l’heure et que peut ressentir le spectateur ?
Marcela SAID : En fait, j'’ai voulu faire de mon long métrage une sorte de huis clos à ciel ouvert. Et nous avons décidé de le filmer dans une certaine obscurité puisque c’est un film noir qu’il traite de tous ces gens qui ont profité de la dictature.
Et comme pour la narration j’ai tenu à ce que ma mise en scène valorise le ressenti du spectateur plus qu’une exposition trop didactique des enjeux…
Cela passe par la construction d’atmosphère de tensions et d’images un peu métaphoriques qui symbolise la confusion intérieure de mes personnages et la violence dont elles sont les victimes.
On a ainsi utilisé une caméra fixe, mais à portée de mains pour qu’on soit proche des états d’âme de mes personnages, et entrecoupée parfois de plans larges pour donner une respiration que l’on peut ressentir à l’image et montrer que mes personnages sont perdus dans l’immensité du monde.
Baz'art : Comment votre film qui est quand même très critique envers la société chilienne a-t-il été reçu la bas ?
Marcela SAID : En fait, je n’en ai aucune idée, car le film n’est pas encore sorti (sourires), c’est normalement prévu pour le printemps prochain.
Je sais que certaines de mes réalisations précédentes ont connu quelques difficultés la bas, et celui-ci ne devrait pas déroger à la règle.
Mais vous savez, le Chili est un pays où il y a très peu de cinémas, et où les films qui y sont présentés sont à 99% des blockbusters américains… il faut donc trouver sa place lorsqu’on propose un cinéma différent et un peu exigeant.
Après j’imagine bien que mon film va choquer quelques spectateurs au Chili, notamment ceux qui pourraient se reconnaitre dans certains des personnages, mais comme je vous l’ai dit tout à l’heure, mon objectif n’est pas de faire du cinéma lisse et prévisible , mais bien des films qui font réfléchir le spectateur et pourquoi pas aussi le choquer…
On verra bien, je ne m'angoisse pas particulièrement avec tout cela, l'important c'est que mon film soit vu par le plus grand nombre car l'objectif de tout cinéaste c'est quand même que son film soit vu par le plus de gens possibles....
Baz'art : C'est tout le mal que l'on vous souhaite, chère Marcela, et ce dès ce mercredi 13 décembre dans toutes les (bonnes) salles de cinéma qui le projette..