Nouvelle analyse du traitre, de Marco Bellocchio /Des rats et des hyènes
La mafia : un terme éculé, aussi effrayant que fascinant, presque séduisant lorsqu’en plus il prend des accents italiens et se patine aux teintes des années 80.
On a déjà parlé à maintes reprises du nouveau film de Marco Bellochio, un des grands événements ciné de cette rentrée voici un nouveeau point de vue d'une de nos chroniqueuses cinéma
Photo de famille
Palerme, 1980, justement. Il faut déclarer la paix pour qu’éclate plus fort la guerre : le sang est plus éclatant sur les drapeaux blancs. Le soir où les deux familles de la Cosa Nostra célèbrent en grandes pompes leur réconciliation, on collectionne les embrassades … avant que les pistolets restés cachés sous les chemises ne ressortent de leurs fourreaux et que ne commence l’hécatombe.
Lorsqu’il tombe aux mains de la police, Tommaso Buschetta, membre du clan visé par le massacre, décide lui aussi de faire le ménage, à sa manière. Les affaires et les noms qu’il révèle se succèdent sans qu’il accepte le statut de « repenti », ces mafieux qui collaborent avec la police en échange d’une remise de peine.
C’est au contraire par fidélité aux « principes » de la Cosa Nostra que Buscetta fait tomber ceux qu’il considère comme des traites. Lui se réclame d’une (mythique ?) « belle époque » de la mafia, celle des Robins des Bois qui prenaient aux riches pour distribuer aux pauvres, celle d’avant la drogue…
En plongeant dans ses arcanes les plus vermoulues, Bellocchio sort du folklore et, à travers l’analyse d’une affaire historique, révèle le principe même du système mafieux. Crime organisé, corruption, privilèges… il s’agit toujours de la même gangrène contractée par soif du pouvoir, un mal diffus à toutes les échelles de la société quelle qu’elle soit.
Ce sont finalement 375 personnes qui seront appelées à la barre après les déclarations du « mafieux juste » dans un tribunal construit pour l’occasion qui prend des allures de théâtre, de zoo, d’asile de fous… Les prévenus (magnifique sélection d’acteurs) ont la désinvolture de ceux qui n’ont rien à perdre, et la tension de ceux qui craignent l’effondrement de leur royaume.
Au milieu de l’arène, un Bruscetta imperturbable, et un procureur atterré.
Si la composition des plans joue habilement du passage entre reconstitution de scènes réelles et insertion d’images rêvées ou imagées, le cadre manque parfois d’ampleur pour le cinéma, et c’est du côté des acteurs qu’il faut chercher la profondeur de champ.
Pour avoir évité de finir la peau trouée par les siens ou enfermé comme un animal, Buscetta n’échappera pas aux harcèlements de ses démons, chiens de garde de ses insomnies.