La femme d'après : dans la tête d'une femme qui vacille
«20 à 23 ans. Et moi tellement plus, tellement plus malgré mes pas légers dans la nuit, l'illusion où j’étais de ma jeunesse retrou vée, des premières amours recommencées. »
La narratrice du nouveau roman d'Arnaud Firedmann, la femme d'après, n'est jamais nommée.
On sait en revanche car le roman commence ainsi, qu'un soir d'août 2009, à Montpellier, où elle est venue retrouver son amour d'il y a vingt an, elle s'apprête à regagner sa voiture lorsque quatre jeunes types la croisent.
"C'est pas prudent de se balader toute seule, comme ça, la nuit, Madame", lui lance l'un d'eux, visiblement le leader du groupe . "Tu me réponds, connasse ?" insiste-t-il. Elle ne perd pas contenance, engage le dialogue, ils passent leur chemin.
Mais le lendemain, notre quadragénaire apprendra qu'une jeune fille a été poignardée à mort cette nuit-là dans le même quartier.
Et que l'assassin est bien "le meneur" qui l'avait interpellée avant.
Pourquoi en a-t-elle réchappé ? Est-ce à cause de son âge ? Ce drame qui aurait pu être le sien va l'obséder au-delà du raisonnable, charriant culpabilité et questionnements, ravivant aussi des blessures anciennes.
L'auteur démonte la mécanique de l'agression et ses répercussions sur la psyché de son personnage à l'aide d'une écriture dénuée de tout gras mais qui ne refuse pas l'empathie.
Un texte qui aborde des thématiques tabous avec beaucoup de finesse psychologique et une plume précise et percutante.
"Je n’avais pas l’impression, avant d’apparaître dans leur champ de vision, que leur conversation rendait un son grégaire. L’idée me traverse, je me hais pour cette idée, l’idée me traverse que je ne devrais pas être là, pas avoir traversé la France pour retrouver Jacques vingt ans après notre séparation, me mettre en travers du chemin de ces types, les contraindre à m’agresser. À laisser leur chef rouler ces mots menaçants, jouer la partition attendue"
Arnaud Friedman réussit pleinement à se glisser dans la peau de cette femme pour nous montrer tous les sentiments qui l'oppressent au plus profond d'elle même.
Il n'hésite pas à aiguiser son scalpel pour aller au plus près des tourments d'une quadragénaire aux prises avec le temps qui passe et les aléas du désir.
L'écriture impressionniste du romancier, d'une grande acuité, et la construction très maîtrisée du scénario nous font rentrer dans la psyché d'une femme au bord de la folie . Un portrait de femme, si puissamment écrit par un homme qui se refuse aux conclusions trop définitives.
Arnaud Friedmann La femme d'après,
Parution le 6 janvier 2022 chez La Manufacture de livres.
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