Annecy 2019 : J'ai Perdu Mon Corps, de Jérémy Clapin , critique du Cristal d'Or 2019
Il est plus que temps pour tirer un trait- ephémère- sur le festival d'animation d'Annecy sur LE grand coup de coeur de cette sélection qui aura autant ravi les festivaliers cannois ( le film a été déjà lauréat du Prix Nexpresso à la semaine de la critique) que ceux d'Annecy. puisqu'il a obtenu le cristal d'Or ainsi que le prix du Public samedi soir d'un palmarès attendu, mais cependant très satisfaisant :
Synopsis : Naoufel est un jeune livreur de pizza assez maladroit. Un jour, par interphone interposés, il découvre Gabrielle. Charmé par sa voix, par l’attention qu’elle lui porte et la gentillesse dont elle fait preuve, il va tenter de la rencontrer...
TOUT CE QUE L’ANIMATION PEUT FAIRE COMME PRODIGE
Le synopsis ci-dessus ne rend pas vraiment compte de l’histoire que Jérémy Clapin met en scène.
En effet, l’un des éléments principaux de ce chef d’œuvre est que la ligne principale de narration est racontée d’un point de vue inédit dans l’histoire du cinéma : celui d’une main.
Le jeune réalisateur ose tout. Il ouvre un film d’animation non pas avec une image, mais un son. Un son sourd, répété, qui fait naitre la lumière, et puis c’est le grand saut. La perspective est hallucinante et surtout, surtout, se maintient tout le long du film.
"J’ai perdu mon corps", à la manière des films de Satoshi Kon, vient rappeler au spectateur que l’animation est une technique où tout devient possible, tant dans les cadrages que dans le montage.
Pour ce qui est du montage, Jérémy Clapin rappelle à notre bon souvenir que si l’animation peut respecter la grammaire classique du cinéma, en faisant des champs contre champs et des raccords mouvements, elle peut aussi dynamiter les codes et les redynamiser.
Ainsi, le réalisateur ( voir photo), qu'on a eu la chance d'interviewer pas plus tard que vendredi matin, juste avant son sacre, nous propose des changements de perspectives spectaculaires, des alternances de vues subjectives et de plans d’ensembles, des raccords couleurs, des raccords musicaux, et même certains raccords dysesthésiques, qui fonctionnent comme des passages d’une temporalité à une autre.
Sans jamais qu’il ne se sente perdu, le spectateur voyage ainsi dans de multiple temporalités se répondant et s’éclairant à tour de rôle, dressant le portrait d’un jeune homme et d’une relation.
Non content de limiter à sa créativité au montage, le réalisateur met un soin très particulier dans les cadrages qu’il propose. Ainsi, se succède des perspectives impossibles, alternance entre des points de vue à l’extrême verticale est des contre-plongées subjectives d’une main courant dans les sous sols du métro ou dans des canalisations.
Arriver au troisième paragraphe d’une critique d’un film d’animation sans parler de la technique d’animation en elle-même montre déjà à quel point le film est une réussite. Mais que dire alors d'un tel film qui parvient à donner une palette d’émotion identifiable à une main?.
La peur, la joie, le désir, l’émotion, la mélancolie. Tout passe par cette paume et ces cinq doigts. Cette main voit, entend, vit et sent comme n’importe qu’elle être. Elle est entière et en même temps dans un manque qui la pousse vers l’avant.
Il s’agit quand même d’une film qui parvient à rendre claire les motivations profonde d’une main, un être inanimé et parfaitement silencieux.
Ce film est un prodige d’écriture, de mise en scène et d’animation.
Inclassifiable, il oscille entre l’émotion, l’épopée, le film d’aventure, le thriller, la comédie romantique et tant d’autre chose.
Absolument magnifique, J'ai perdu mon corps offre un voyage au cœur même de la ville, proche de nous. Sans prétention aucune, ce film apporte un peu de beauté et de douceur, d’émotion honnête et pure, dans le quotidien de chacun.
J’AI PERDU MON CORPS/De Jérémy Clapin
Avec Hakim Faris, Victoire du Bois, Patrick d'Assumçao
Date de sortie 6 novembre 2019
Durée : 1h 21 - 81min
Note : 5/5