Théâtre/Retour-a-reims/Une grande pièce politique
« Longtemps, ce ne fut pour moi qu’un nom. Mes parents s’étaient installés dans ce village à une époque où je n’allais plus les voir. De temps à autre, au cours de mes voyages à l’étranger, je leur envoyais une carte postale, ultime effort pour maintenir un lien que je souhaitais le plus ténu possible. En écrivant l’adresse, je me demandais à quoi ressemblait l’endroit où ils habitaient. Je ne poussais jamais plus loin la curiosité. Lorsque je lui parlais au téléphone, une ou deux fois par trimestre, souvent moins, ma mère me demandait : « Quand viens-tu nous voir ? » J’éludais, prétextant que j’étais très occupé, et lui promettais de venir bientôt. Mais je n’en avais pas l’intention. J’avais fui ma famille et n’éprouvais aucune envie de la retrouver. »
Ainsi commence « Retour à Reims » le bestseller sociologique de Didier Eribon. L’auteur, philosophe et sociologue, replonge dans son passé et dans le milieu ouvrier dans lequel il a été élevé. Gay dans un monde homophobe, il n’a pas eu d’autre choix que de quitter Reims pour étudier à Paris.
Intellectuel reconnu qui a beaucoup écrit sur la question et l’identité homosexuelle, se vivant comme un transfuge de classe, Didier Eribon se penche sur son identité sociale. « Retour à Reims » est un récit autobiographique poignant, un récit familial intime qui décrit avec précision les mécanismes de la domination et sa reproduction de génération en génération. Dans ce retour dans ce que l’on appelle « la France moche », à la mort de son père, le sociologue interroge son refus d’avoir été un fils d’ouvrier.
Très beau spectacle proposé actuellement par le Théâtre des Célestins, pour la clôture de la tournée de la pièce. Thomas Ostermeier s’empare du texte de Didier Eribon pour en faire une grande pièce politique.
Un retour sur quarante années dans un monde de plus en plus ultralibéral qui a vu le basculement des votes communistes vers le FN.
En adaptant Retour à Reims et grâce au dispositif de doublage d’un documentaire, Thomas Ostermeier interroge les rapports entre biographie, art et représentation sociale – dans sa vie personnelle comme celle de ses interprètes – et par ce biais l’histoire récente de la politique européenne, de la disparition de la gauche à la montée des populismes.
Une pièce puissante, qui embrasse toutes les dominations quelles soit sociales, raciales ou sexuelles et surtout, surtout un texte lu- dans un studio d'enregistrement- par la lumineuse Irène Jacob, une présence à tomber par terre ( et une autrice particulièrement douée comme on l'a rappelé mardi dernier).
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