Entretien avec Jawad Rhalib pour AMAL, UN ESPRIT LIBRE,
Le réalisateur Jawad Rhalib est venu présenter lors des rencontres du Sud d'Avignon son nouveau film AMAL, UN ESPRIT LIBRE, distribué par UFO Distribution, en salles le 17 avril 2024 - chronique à venir prochainement. L'occasion d'échanger avec lui sur la liberté d'enseigner et les dérives du radicalisme religieux.
Comment est née l’idée du film ?
Je réalise des documentaires et des œuvres de fiction dans lesquels des valeurs telles que le respect d’autrui,
la liberté d’expression, et le droit d’être soi ont une grande importance.
Avec ma première fiction, Amal, un esprit libre, mon objectif était de traiter la
question de l’influence de la communauté musulmane au sein de nos écoles, et à mettre en lumière la peur que cela peut susciter chez les enseignants. Il est rare
de trouver des professeurs, à l’instar d’Amal, qui sont capables et désireux de s’opposer aux pressions des parents et des associations religieuses. Mon but était de donner une voix à ce corps enseignant et, surtout, de mettre ce constat en lumière.
Est ce dangereux de faire un film comme Amal qui n'a pas peur d'aller sur des rives quelque peu taboues?
Je n’ai pas peur de dire la vérité.
Je ne suis pas islamophobe mais je ne veux pas que nos jeunes deviennent de futurs Merah. Je me considère engagé et je pense que c’est une urgence de pousser un ci d’alarme. En Belgique, il n’y pas de censure. Il n’y a pas de cancélisation.
On ne me demande pas de couper des scènes par peur de heurter la sensibilité de certaines communautés. Il faut avoir le courage de dire la vérité. Ce n’est pas normal que Samuel Paty et Eric Bernard aient été décapités.
L’une des thématiques aborde le dépassement de la peur. Est-ce l’un
des plus grands défis aujourd’hui ?
On a tellement peur de ce que vont penser les autres qu’on est tenté de se taire. Il faut dépasser cela. Amal, un esprit libre a suscité de vives réactions auprès de certains distributeurs, directeurs de salles et programmateurs de festivals, persuadés que le film pourrait provoquer le désordre.Malgré la sélection du film par un festival arabe, la censure a refusé de le diffuser.
Voilà où réside le véritable dilemme : il est aisé de préconiser le dépassement de la peur, mais en pratique, cela s’avère bien plus complexe. Les individus se trouvent dans l’impossibilité de partager leurs histoires, de témoigner, car ils risquent rapidement d’être menacés, en particulier avec la virulence des réseaux sociaux.
Amal est une professeure pédagogue, flexible et énergique. Les
méthodes d’éducation et l’écoute des jeunes sont-elles à revoir ?
L’école a pour rôle principal d’écouter et d’éduquer les jeunes. Les parents,
eux, ont leur propre responsabilité en dehors de l’établissement. Dans les cours
que donne Amal, j’ai délibérément choisi d’aborder la figure d’Abu Nawas, un
poète arabo-musulman homosexuel que j’ai étudié au Maroc.À l’époque, son orientation n’était pas un problème mais aujourd’hui, ce poète a disparu des
librairies et des bibliothèques. Il était profondément religieux, tout en appréciant
le vin et les hommes. Sa vie incarne le concept de « Din wa dounia » (la religion
et la vie).
Pour les islamistes et de nombreux musulmans, ces deux notions
sont incompatibles. En théorie, l’enseignement doit exposer les jeunes à des
perspectives différentes de celles qu’ils connaissent, notamment celles véhiculées
à la télévision par des chaînes radicalisées ou encore dans la rue.
Mettre cela en pratique est un défi de taille. Amal expose à ses étudiants une littérature qui va audelà des classiques français, afin de leur faire comprendre qu’ils peuvent être fiers
de leur culture et que la religion n’a jamais réellement interdit quoi que ce soit.
Ce sont les interprétations des hommes qui ont créé ces limitations. L
De quelle manière dirigez-vous vos acteurs ?
Je reste concentré en permanence et je ne néglige personne : ni les seconds
rôles, ni les silhouettes. Tous doivent se sentir impliqués. Le regard posé
par le metteur en scène sur chacun d’eux est très important. Je fais le plus
beau métier du monde. Ce film représente quatre années d’écriture et de
préparation pour un long métrage d’environ une heure et demie, avec le
risque qu’il ne soit pas bien reçu tout autant que la possibilité qu’il plaise. Voir
ces acteurs bouger, donner vie à leurs personnages, de même que les jeunes
avec lesquels j’ai longtemps travaillé, c’est une source de grande satisfaction.
Quel écho a recu votre film lors de sa sortie en Belgique?
Mon film a déjà été projeté dans différents cinémas et il a reçu un excellent accueil du public. Des débats ont eu lieu et tout s’est bien passé. Le concept «Pas de vagues» n’a que trop durer. Une loi va d’ailleurs être promulguée en Belgique en septembre 2024 . Elle a pour objectif de supprimer les classes où sont enseignées la culture musulmane au sein des établissements scolaires.