Portrait d'actrice : Nadia Tereszkiewicz, à l'affiche du film Rosalie
Lundi dernier, on a rencontré la très prometteuse comédienne franco finlandaise Nadia Tereszkiewicz, venue défendre le très beau film "Rosalie". à voir au cinéma le 10 avril prochain.
Celle qui a commencé à joliment prendre sa place à l’écran, notamment devant la caméra de Dominik Moll (Seules les bêtes), Monia Chokri (Babysitter), ou de Roschdy Zem (Persona non grata), a définitivement explosé avec Valeria Bruni-Tedeschi dans Les amandiers, ce qui vient de lui valoir le César du meilleur espoir féminin, sans oublier son duo pétaradant avec Rebecca Murder, comédienne de la même trempe qu'elle dans Mon crime de François Ozon .
Dans Rosalie, de Stéphanie Di Giusto, qui retrace le destin de la première femme à barbe au XIX e siècle, elle est très bien entourée de Benoît Magimel, Gustav Kervern et Benjamin Biolay pour qui elle a déjà tourné quelques clips.
Dans Rosalie, Nadia y tient le premier rôle, celui d'une «femme à barbe», comme on disait à l'époque – le film se situe en 1870 –, dotée d'une pilosité surdéveloppée, dévorée par ce secret qu'elle cache en se rasant mais aimerait révéler à son mari.
Ce qui l'a vraiment marqué en lisant le scénario c'est surtout le fait que " Rosalie, c'est une histoire d'amour inconditionnel. Comment aimer, sans compter la différence, en se libérant du regard des autres. On peut tous s'identifier à ça. C’est aussi l’histoire d’une femme qui veut être elle-même. Pour cela, il faut assumer, affronter le regard des autres, afin d’assouvir son désir d’être mère, d’être aimée. C’est une femme courageuse, malgré tout ce qui s’abat sur elle »
Lorsqu'on l'interroge sur le fait de savoir si aujourd'hui le monde autour regardait Rosalie et sa différence autrement, la jeune comédienne avoue: " j'ai beaucoup réfléchi à cette question, et je ne suis pas sur que Rosalie serait forcément mieux acceptée de nos jours. Notre société est très paradoxale: sur les réseaux sociaux, on a tendance à vouloir s'affirmer, montrer ses différences et en même temps il y a une vraie uniformité et une défiance qui peut être toujours très violente par rapport aux gens qui ne sont pas dans les clous. "
Quant au fait de ne pas avoir de coquetterie pour jouer un tel rôle, elle explique que c'est la danse qui lui a permis cela : " La danse m a ’offert la possibilité d’avoir un rapport au corps assez instinctif pour les rôles… J’aime bien aborder les personnages par le corps. Pour la sensation de la honte, que j’ai abordée dans ‘‘Rosalie’’, ça m’a beaucoup servi. »
Devenir Rosalie, la femme à barbe, impliquait un réveil à 4 heures du matin, pour le maquillage. «On collait chaque poil un par un, sur tout le corps», raconte la réalisatrice Stéphanie Di Giusto. présente également lors de notre rencontre la semaine passée.
" Je connaissais Nadia Tereszkiewicz de mon premier film puisque je l’avais choisie comme jeune danseuse dans la troupe de Loïe Fuller. Je l’ai croisée dans la rue, par hasard, et je lui ai donc demandé de venir faire un essai. Dès l'arrivée de Nadia au casting, j'ai saisi de suite qu'elle serait ma Rosalie. Je faisais passer les essais avec une barbe. La plupart se regardaient tout le temps dans le miroir, désemparées, d’autres se grattaient en permanence... Nadia, elle, n'a même pas vérifié son image dans le miroir. Elle s'est assise directement et elle a joué. Car Nadia a tout de suite fait corps avec cette barbe. Il y a eu une évidence charnelle. Moi aussi, je n’ai eu aucun doute en la voyant jouer. Elle a une énergie d’actrice très pure, un enthousiasme naturel dont j’avais besoin pour le personnage. Même avec une barbe, elle dégage une sensualité troublante. Son passé de danseuse l’a faite beaucoup souffrir, son corps a été jugé en permanence, ne répondant pas forcément aux critères de la danse classique.
Elle a cette force mais elle a aussi la fragilité que j’attendais. Je crois que le personnage de Rosalie l’a aussi touché pour cela : elle a dû apprendre à vivre avec ce corps en souffrance.
Tourner pour la caméra de Stéphanie DI Giusto revelait de l'évidence pour Nadia Tereszkiewicz car c'est là que tout a commencé pour elle .
A quatre ans, elle intègre l’école Rosella Hightower à Cannes ; à 18 ans l’école nationale du ballet du Canada, à Toronto, pour devenir danseuse étoile. Mais son rêve se brise face à la réalité de son exigence. Elle revient en France et s’inscrit en prépa littéraire option théâtre, à Paris, paie ses études en faisant des petits boulots et de la figuration de danse. Une petite annonce la mène sur le plateau de La danseuse, de Stéphanie Di Giusto. Deux ans plus tard, elle fréquente la classe libre du cours Florent où elle joue aussi bien Ophélie qu’Électre.
Dans Rosalie, Benoît Magimel interprète son mari, mais, pendant le tournage, en dehors des prises, il ne lui adresse pas la parole. Les deux acteurs répètent séparément, s'évitent dans les loges…
"C' était très important pour moi que mes deux acteurs ne se rencontrent pas avant le tournage." explique Stéphanie Di Giusto. Nous avons filmé dans l’ordre chronologique, je voulais qu’ils se découvrent tout au long du film pour faire naitre les sentiments peu à peu comme dans l’histoire. Nous avons vraiment construit le film ensemble."
Un autre challenge pour Nadia, celui de passer sa journée sur le plateau couverte de poils sous le regard des autres.
"Elle a beaucoup de courage, je pense que ça vient de la danse, l'exigence absolue. Dans la danse aussi, il y a ce jugement permanent sur le corps. Il faut correspondre à un standard. Or, Nadia n'est pas standard. En cela sans doute le personnage a dû lui parler.» conclut Stéphanie Di Giusto qui visiblement ressent énormément d'admiration pour sa comédienne.
Une comédienne qui reconnait que la place privilégiée qu'elle a dans le cinéma français lui va à ravier :
" J’ai beaucoup de chance, on me propose des rôles complexes de femmes. Ça paraît un peu idiot de dire ça mais j’ai fait de vraies rencontres humaines qui changent ma vie dans le cinéma, je suis trop heureuse de pouvoir aussi raconter des beaux destins de femmes comme ce Rosalie, et j'espère que cela ne fait que commencer (sourires) .