Fainéant.e.s : Les punks ont du chien
Fainéant.e.s, œuvre cinématographique au titre en écriture inclusive, est, comment dire ? Le bijou, la pépite de la semaine, voire du mois. Dridi filme des keupons sans toit parfois sans dent, mais jamais sans tendresse ! Explications.
On respire dans le cinéma de Dridi, une respiration mentale, visuelle et artistique, dans notre quotidien numérisé efficace et sans esthétique : chez le cinéaste de Fainéant.e.s, on a des plans fixes, des caméras à l’épaule, des visages filmés en longueur, des non-dits, des non-filmés, des silences, des paysages de Provence en hiver, tout ce qu’on aime !
Et, en prime la voix incroyable de l’oubliée Colette Magny, dans la chanson récurrente du film.
Un seul et unique plan de drone est repéré à la fin du film (on n’en peut plus des paresseux plans de drone partout dans le cinéma et les séries !).
Dridi filme des gens, des marginaux, des punks à chien, des « sans dents » et nous les fait aimer, presqu’envier. Avec des côtés quasi documentaires, le cinéaste de Chouf (2016) ou de Khamsa (2008), filme ces deux jeunes femmes Djoul et Nina, incroyables « avec ce qu’elles sont dans la vie réelle » affirme Dridi, dans leur road movie sans limite, à bord d’un camion Mercedes hors d’âge et brinquebalant.
Nina à Djoul : « T’es pas bien là ? On a du soleil, la nature, on du boulot et du pognon… » Djioul « J’emmerde le soleil, je l’emmerde au possible. Ce que j’veux c’est tracer la route ! »
Karim Dridi filme avec du sentiment et il filme du sentiment, c’est du cinoche, avec de la tendresse en veux-tu en voilà, on pense d’emblée à Sans toit ni loi, et à l’inoubliable Sandrine Bonnaire en Mona, mais le propos est moins sombre que celui d’Agnès Varda il y a quarante ans, on peut aussi faire le rapprochement avec Thelma et Louise (Ridley Scott).
Pas de pathos ni de misérabilisme, même si leurs pérégrinations leur font prendre des risques pour leur vie et leur santé. Leur errance choisie « trop de murs ! » dit Djoul (.jU. de son vrai nom), qui ne peut pas dormir dans une maison. Nina (Faddo Jullian) fait une fausse couche dans une cave…pas grave, après une douche aux bains municipaux, elle ira mieux !
Punk à chien ou sans chien, coupe iroquois ou non, ce ne sont pas des acteurs, ils ne jouent pas, ils sont « Notre vie c’est la fête… » disent-ils, avant de célébrer dans un squat la fin de vie de l’un des leurs, Gribouille, dans un pogo macabre, joyeux et bouleversant, filmé brillamment à la Kusturica ou à la Tony Gatlif. Les CRS viendront gâcher la fête…
Le film est porté par le duo Djoul-Nina, inséparable et pourtant séparé une partie du film. Se retrouveront-elles ? Look camionneur, clop au bec, Djoul est bourrée de tendresse, et de sensibilité quand son amie (amante ?) Nina fout le camp sac au dos avec le premier routard venu parce qu’elle craque pour son chien Cassette.
Djoul est la boussole, elle trace la route, une force qui emporte le fou-rire rien qu’à l’évocation du mot « travail » avec son père récemment veuf, et pourtant elles bossent : « Etre fainéant, ça se mérite, c’est pas n’importe qui, qui peut être fainéant, commente Karim Dridi, quand elle veulent travailler, elle le font à fond, dans les vignes ou en usine. Quand elles ont envie d’arrêter, elles arrêtent, prennent l’oseille et s’en vont ». Y a un mot pour ça : liberté.
En salle au Comoedia, Lyon 2è.