PUNK.E.S ou comment nous ne sommes pas devenues célèbres : La Scala transformée en salle de concert (Paris)
Big Ben vient de se sonner minuit dans la grande salle de la Scala. Ces douze coups seront les derniers avant longtemps, tel est le vœu de Viv Albertine et Palmolive, enfuies d’une manufacture. Tout cela résulte d’un pari : si Big Ben s’arrête, les deux filles lancent leur groupe de musique, et pas n’importe laquelle : le punk ! La désespérée et délurée Ari Up erre dans les rues de Londres, prête à mourir pour obtenir ne serait-ce qu’une minute pour chanter et créer ses sons. De loin, les deux jeunes filles lui semblent devenir l’illumination, la lumière au bout du tunnel. Il reste à trouver une bassiste mais Tessa Pollit est dans les parages. C’est décidé, elles seront les Slits (les Fentes).
Avec leur nouvelle création, “PUNK.E.S ou comment nous ne sommes pas devenues célèbres”, Justine Heynemann et Rachel Arditi s’inscrivent désormais comme un duo marquant de la scène française. Elles rendent un femmage au premier groupe de punk féminin londonien dans un ensemble de célébration et de nostalgie. Cette mise de valeur de protagonistes féminins poursuit sa lancée entre l’adaptation du roman graphique de Pénélope Bagieu au Studio Théâtre de la Comédie Française, Culottées, Cookie au théâtre de la Huchette et enfin Punk.e.s qui a déjà brûlé les planches de la Scala Provence l’été dernier : « Ce qui m’intéresse, c’est de montrer des figures qui s’émancipent, mettre en lumière leur courage, leurs actions, leurs talents. La place des femmes au théâtre n’est pas encore acquise. » déclare Justine Heynemann à Télérama.
C’est l’histoire du premier groupe féminin, les Slits dans l’Angleterre des années 70 où se mêlent manifestation pour les droits sociaux, indépendantisme irlandaise et montée du néolibéralisme. Tout commence à l’hiver 1976. « Un hiver terrifiant. L’hiver du mécontentement. Le pays est tombé dans une crise sans précédent. Les jeunes sont au chômage. Les rues sont grises, le futur est noir. Tellement noir qu’il a disparu », écrit Rachel Arditi. Avant de devenir les Slits, Ariane Forster, dite Ari Up, Paloma Romero, dite Palmolive, Viviane Albertine, dite Viv Albertine, et Tessa Pollitt ont la même envie d’en découdre, chacune dans leur milieu social, entre 14 et 20 ans. Une envie animée par des modèles comme Janis Joplin et Patty Smith, surtout cette dernière qui vient de sortir en 1975 son premier album, Horses.
Son titre phare Gloria fait vibrer le groupe et leur énergie permet de déplacer les montagnes de la musique punk, jusqu’ici réservée à des hommes. Considérées comme les Sex Pistols au féminin ou les petites sœurs des Clash, les membres du groupe retrouvent une voix pionnière dans l’industrie musicale, les premières à contrôler exclusivement leur image hors des schémas de communication des maisons de disque. L’objectivisation qu’on leur impose leur inspirera Typical girls.
C’est l’histoire de 5 femmes qui grandissent, s’élèvent entre elles par leur colère, leur douceur, leur romantisme et leur détermination face au futur anxiogène et l’arrivée de Margaret Thatcher. Cette colère alimente leur inspiration et nous propose de revivre une époque d’Anarchy in the UK, des Sex Pistols, à I Wanna Be Your Dog, des Stooges, de Miss You, des Rolling Stones, à Silly Games, de Janet Kay, en passant par une interprétation magnifique, tout en douceur, de Should I Stay or Should I Go, des Clash.
Derrière les barrières métalliques tombent les limites du pré-carré de la salle de la Scala qui se transforme en salle de spectacle, des câbles et des flight cases disséminées jonchent au sol, les comédiennes musiciennes laissent sans voix par leur énergie et leur implication dans l’interprétation, le chant et la chorégraphies. Il faut les citer : l’éclatante Charlotte Avias en Ari Up, la touchante Camille Timmerman qui injecte autant de douceur que de puissance au punk et Salomé Dienis Meulien et Kim Verschueren dont le caractère insoumis provoque une certaine jouissante. Sans oublier Rachel Arditi qui interprète Nora Forster pleine de grâce et un libidineux producteur de musique qui passera son pire quart d’heure. Et bien sûr James Borniche qui incarne Mick Jones, guitariste des Clash ainsi que tous les autres rôles masculins, à un rythme particulièrement soutenu !
On ressort totalement séduite par cette petite bombe, ce bel objet qu’est Punk.e.s emballé dans un magnifique paquet tonifiant signé Justine Heynemann, metteuse en scène de l’émancipation comme l’appelle Télérama.
Crédits photos : Arnaud Dufau
PUNK.E.S ou comment nous ne sommes pas devenues célèbres
Écrit par Rachel Arditi et Justine Heynemann
Mis en scène par Justine Heynemann
Interprété par Rachel Arditi, Charlotte Avias, James Borniche, Salomé Dienis Meulien, Camille Timmerman et Kim Verschueren
Durée : 1h30
Une pièce qui a été jouée du 27 mars au 6 avril 2024
La Scala Paris (Paris 10e)
En tournée
Mardi 30 avril 2024 à 20h30
Théâtre Simone Signoret, Conflans-Sainte-Honorine (78)
Lundi 27 mai 2024 à 21h00
Festival théâtral de Coye-la-Forêt (60)
Du 29 juin au 21 juillet 2024
La Scala Provence pour le Festival OFF
Rédactrice de l'article : Jade SAUVANET