Rentrée littéraire 2024- HOURIS - Kamel Daoud
« Pourquoi, se demande la femme sans voix, adorent-ils, ces hommes, guetter des femmes qui n’existent pas et nous enterrer, nous qui leur donnons la vie ? »
Kamel Daoud donne une voix à une femme qui a perdu la sienne, une victime qui ne peut se remettre d’avoir été égorgée et de ne pas être morte.
Elle se rebelle à sa manière, essaie de vivre dans son salon de coiffure face à la mosquée, bravant les barbus qui la voient d’un très mauvais œil. Partout où elle passe, son « sourire », trace de l’égorgement raté, ravive le passé que l’Algérie veut enfouir. Sur sa route, elle rencontre Aïssa, un homme qui a subi aussi l’horreur.
Témoin du massacre d’une dizaine de militaires décapités, il a échappé à la mort parce qu’on voulait qu’il soit le témoin de ce dont les Émirs (les chefs de terroristes) et leurs bandes étaient capables.
Pour évoquer la guerre civile qui a détruit l'Algérie entre 1992 et 2002, Kamel Daoud a choisi la littérature, seule langue capable, pour lui, de rendre l'horreur de cet épisode occulté.
Dans l'Algérie d'aujourd'hui, la voix intérieure d'une femme, une survivante des tueries, s'adresse à l'enfant à venir pour lui dire ce qu'a été cette décennie et lui raconter le quotidien d'un pays qui n'a pas encore fait sa réconciliation.
Houris laisse voir la terreur de l’intérieur, la difficulté de se reconstruire en tant que morte-vivante. En alternant trois récits des victimes de la guerre civile, en jouant aussi sur la temporalité (le récit n’est pas linéaire, ce qui ajoute à l’angoisse qui en ressort) et en donnant à lire un texte très dense, Kamel Daoud permet de mieux comprendre cette partie encore peu connue de l’Histoire par les Français et niée par le gouvernement algérien.
Le récit est parfois compliqué à se plonger dedans parce que Daoud nous décrit sans détour, par le biais d’une écriture maîtrisée, la cruauté des hommes
Un roman politique puissant, éprouvant, monumental par sa force et sa fièvre...Un des grands romans de cette rentrée littéraire.
.Kamel Daoud, « Houris », Gallimard, 416 p
Je montre un grand sourire ininterrompu et je suis muette, ou presque. Pour me comprendre, on se penche vers moi très près comme pour partager un secret ou une nuit complice. Il faut s'habituer à mon souffle qui semble toujours être le dernier, à ma présence gênante au début. S'accrocher à mes yeux à la couleur rare, or et vert, comme le paradis. Tu vas presque croire, dans ton ignorance, qu'un homme invisible m'étouffe avec un foulard, mais tu ne dois pas paniquer.