Cet instant là: Douglas Kennedy passe à l'est
Vous avez du remarquer que, dernièrement, j'ai rédigé bien plus de billets consacré au cinéma (avec un certain succès je dois dire, merci Hello Coton) qu'aux livres. Et ce, alors que, depuis le début de mon blog, j'avais pour préoccupation première de jouer scrupuleusement la régle de l'alternance.
La raison à ce changement est simple : après Freedom qui m'avait déja fait consacrer énormement d'heures à sa lecture, je me suis retrouvé plongé dans un nouveau pavé de 500 pages, un de ceux que tu dois lire sans sauter un paragraphe si tu ne veux pas rater un élément clé de cette intrigue aux rebondissements multiples.
Ce livre, c'est bien entendu Cet Instant là, le dernier roman de Douglas Kennedy que j'ai eu l'occasion de recevoir gratuitement grâce à Babelio et son opération Masse Critique.
Douglas Kennedy, c'est un des très rares auteurs dont j'achète et lis absolument tous les livres, dès leur sortie, et en grand format s'il vous plait. Je me souviens l'avoir rencontré lors d'un salon du Livre à Paris il y a quelques années, alors qu'il n'avait pas atteint toute la renommée qu'il a désormais, et si j'étais tout intimidé en bredouillant quelques mots d'admiration, il m'avait semblé être, de son côté tout géné et trés touché en les recevant (et pourtant à l'époque, j'avais pas encore fait la une d'HC:o).
Depuis, je lis donc sa fournée annuelle sans exception (il n'y a que son essai sur l'Egypte Au delà des Pyramides que j'ai dans ma bibliothèque, mais pas encore lu), un peu comme je vais voir un Woody Allen : je ne rate aucune de leurs oeuvres, et ensuite je les classe à l'aune de l'ensemble de leur bibliographie ou filmographie respective : soit un très grand Kennedy ou Allen, soit un mineur.
Et alors, vous allez me demander, la cuvée kénédienne 2011 est t- elle un bon millésime ou un plus modeste?
Disons, pour répondre immédiatemment à cette insoutenable question, qu'il est entre les deux : à la fois un bon roman passionnant, et en même temps avec quelques défauts qui l'empechent de le situer parmi ses meilleurs romans ( comme La Poursuite du bonheur ou les charmes de la vie conjugale).
Parmi les nombreuses qualités du roman, on peut d'abord saluer l'énorme ambition de Kennedy : l'auteur, qui a vécu quelques mois à Berlin en 1983, donc en pleine guerre froide, a voulu situer l'intrigue de Cet Intant là dans cette ville, et à cette époque là précisemment.
Enfin, plus précisemment, une partie de l'intrigue puisque l'histoire commence dans le Maine, où le narrateur, Thomas Nesbitt, la cinquantaine fatiguée, reçoit, en même temps que sa notification de divorce, un courrier provenant de Berlin et qui va le faire replonger 25 ans en arrière lors de son séjour professionnel dans le Berlin d'avant la chute du Mur...
Cet instant là est donc un roman à la fois divertissant (Kennedy n'a rien perdu de son talent de "page turner") et en même temps trés instructif dans sa partie chronique politique, puisque toute la partie sur le Berlin de cette période est absolument bien rendue; Kennedy ayant ajouté à ses souvenirs personnels, une vraie recherche documentaire. Ce livre fait d'ailleurs écho de façon revendiquée à un film qu'il a beaucoup aimé, La vie des autres, et comme j'ai vu ce film trés récemment, j'ai pu faire le parrallèle, puisque dans les deux histoires, il est question d'auteur dramatique vivant en RDA et qui écrit des pièces jugées subversives pour le régime totalitaire en place.
Mais Cet instant là est avant tout, et contrairement à La vie des autres, une histoire d'amour passionnée et forcément tragique, car broyé par l'Histoire. Cette même histoire, qui par le force de son souvenir, restera dans l'esprit de Thomas, même 25 ans, un mariage, et un enfant après. Et hélas, et étrangement, car Kennedy nous a déja habitué à trousser des histoires d'amour poignantes, c'est dans cette veine sentimentale que le bat blesse. Sans doute ai-je été légèrement influencé par quelques articles sur les blogs (celui d'Océane notamment) qui reprochait au livre une certaine miévrerie dans le coté histoire d'amour, mais quoiqu'il en soit, ce coté un peu roman de gare, du moins dans certains dialogues m'a un peu géné. Prenons un petit exemple, pas complétement au hasard:
"- oh, toi, toi...
- dis moi que tu m'aimes
- je t'aime
- et moi je t'aime"
Bon je veux bien que quand on vit dans la passion, on est vite pris par le côté fleur bleue (c'est ce que m'a rétorqué ma copine qui a tout aimé dans ce livre, elle), mais à l'écrit, ce genre de dialogue passe bien mal la rampe.
Par ailleurs, j'ai regretté que certains personnages secondaires sont, soit caricaturaux (sa femme américaine, froide, hautaine, sans relief; le collègue polonais de la radio, assez odieux de bout en bout), soient intéressants mais sacrifiés et complétement oubliés au fil de l'intrigue (par exemple son colocataire peintre et l'amant turc de celui-ci).
Ces réserves émises, le livre reste quand même d'excellente tenue, et , surtout, est rehaussée par les deux parties finales (le livre en comprend 5 ), notamment la 4ème partie, composé du journal intime de Petra, qui nous révèle une autre facette des évenements vu précédemment à travers l'oeil de Thomas, et qui nous permet de mieux appréhender l'indicible et la monstruosité humaine. Quant à la dernière partie, qui voit Thomas revient à Berlin une fois le manuscrit découvert, elle boucle la boucle d'une épatante façon, toute en tristesse et mélancolie.
En résumé, Kennedy aurait pu peut etre encore mieux faire, vu les chefs d'oeuvre auxquels il nous a habitué, mais, néanmoins, en l'état actuel des choses, il n'a pas raté son voyage à l'Est.
Le cinéma de DOUGLAS KENNEDY
Et ce que j'aime aussi énormement chez cet auteur, c'est son amour inconditionnel du 7ème art, et qui transparait dans tous ses livres (notamment dans la Femme du Vème, dès la semaine prochaine en salles), et voici une petite vidéo où l'auteur nous parle de ciné.
Critique qui peut également participer au challenge 1% littéraire.