Après le sang, Tibhirine fait couler... l'encre!!!
Miracle de l'édition ou décision délibérée? Toujours est-il que, durant ce même mois de septembre, deux livres, issus de deux maisons d'édition différentes, proposent d'enquêter sur le même sujet et plus particulièrement sur la même personne, le frère Jean Pierre Schumacher.
Sui est Jean Pierre Schumacher me diriez vous? Tout simplement le dernier survivant des prêtres qui vivaient en Algérie dans le monastère de Tibhirine, où sept de ses compagnons ont été enlevés puis assassinés en 1996.
Sans doute, qu'à 88 ans, on s'est dit qu'il reste peu de temps à recceuillir la parole d'un homme qui a tant de choses à dire, vu les épreuves qu'il a traversé . Un homme dont on a beucoup entendu parler depuis deux ans et un certain film de cinéma qui a bousculé tout sur son passage...
Une chose est sure : les deux maisons d'édition, Seuil et Albin Michel ayant accepté de m'envoyer leurs ouvrages respectifs, j'ai pu ainsi comparer ces lectures et approfondir plus longuement la connaissance d'un être humain exceptionnel, que, comme beaucoup de mes contemporains, j'ai découvert grâce à ce film, celui de Xavier Beauvois, césar du meilleur film 2010, Des hommes et des dieux.
Si le film m'avait un peu déçu, comme je l'explique ici même, j'ai quand même eu très envie d'en savoir plus sur cet évenement, justement aussi parce que le film, qui évitait toute volonté de psychologisation, ne nous expliquait pas assez à mon gout sur ces moines, de leur vie avant le massacre à leur pensées profondes et spirtuelles.
J'ai enchainé les deux lectures à la suite, et j'ai commencé, peut-être par chauvinisme, par l'ouvrage du journaliste de ma ville, Nicolas Ballet ( voir photo), intitutlé L'esprit de Tibhirine et paru le 20 septembre dernier aux éditions Seuil.
Comme son titre l'indique « L'esprit de Tibhirine » ne se contente pas de raconter ce moment de 1996 qui vit l'horreur s'abattre sur la petite communauté de moines de Tibhirine, en Algérie.
L'ouvrage donne en effet des informations inédites sur la nuit de l'enlèvement, dont le frère Jean Pierre a été le témoin direct, et offre surtout une plongée dans l'histoire de Tibhirine, aventure spirituelle audacieuse relancée au lendemain de l'indépendance algérienne.
L'histoire de ce massacre remonte à 30 ans plus tôt, en 1964 exactement lorsque trois moines, dont le frère Jean Pierre, sont envoyés de Bretagne pour refonder l'abbaye de Tibhirine. Le livre s'attache ainsi à relater, à travers le récit recueilli auprès de frère Jean-Pierre Schumacher, ce que fut le travail entrepris à Tibhirine et perpétué par les survivants dans un autre monastère, celui de Midelt, toujours en terre musulmane,au Maroc. où un mémorial a été dressé, ce qui nous montre, que, contrairement à ce qu'on aurait pu craindre, a tragédie de 1996 n'a donc pas mis un terme au dialogue entrepris entre les moines et les musulmans.
Le récit de Jean-Pierre Schumacher, tel qu'il l'est rapporté par Nicolas Ballet, évoque le rapprochement entre chrétiens et musulmans initié à Tibhirine longtemps avant le massacre des sept moines. L'histoire de ce monastère vient de l'arrivée de 3 moines en 1964 et nous explique bien pourquoi ce monastère était en Algérie : pour témoigner de la chrétienté et de la possibilité de vivre en harmonie avec les musulmans dans des prières communes. Cet ouvrage nous raconte les difficultés rencontrées avec les habitants musulmans dans les prières communes et comment progressivement, les religieux avaient su d'abord se faire admettre, puis se faire considérer comme appartenant à ce coin d'Algérie..
Le vieux moine se souvient de ces jeunes Algériens qui "posaient un doigt sur leur oeil clos", en signe de non-compromission, sur le chemin du marché où il allait vendre la production agricole du monastère. Il raconte sa peur pendant la "décennie noire" des années 1990 marquée par la montée de l'islamisme. "L'ambiance dans les environs nous était parfois hostile", reconnaît aussi le fère Jean Pierre. Et surtout, ce qui m'a peut- être le plus séduit dans ce livre, c'est qu'il nous permet d'en savoir beaucoup plus sur l'histoire de ces 9 moines de Tibhirine, et notamment leur cheminement personnel jusqu'au monastère, contrairement, comme je l'ai dit au début de mon billet ,au film de Beauvois qui nous en disaient très peu sur leurs personnalités. respectives.
D'ailleurs, le frère Jean-Pierre Schumacher évoque souvent le film de Xavier Beauvois et dit beaucoup l'apprécier car cette oeuvre aura permis de faire connaître le travail des victimes, au delà du drame. Sans ce drame et sans ce film le minutieux travail de rapprochement entre les deux communautés n'aurait sans doute jamais été connu du reste du monde.
Bref, le million de personnes emballé par le film ne pourra qu'être séduit par ce livre, qui approfondit le sujet. et qui permet d'en savoir un peu plus sur le dernier détenteur de la mémoire d'un massacre que tout le monde doit garder gravé en soi.
Quant au second ouvrage que j'ai lu sur le même sujet, celui de Freddy Derwahl, plus sobrement nommé " le dernier moine de Tibhrine, on sent que l'auteur connait intimemement depuis plusieurs années le frère Jean Pierre, et que les liens instaurés entre les deuxhommes empreints de confiance mutuelle laissent percer des confessions encore plus intimes de la part du frère.
Freddy Derwahl se met plus en scène que Nicolas Ballet, avec des chapitres qui retrace heure par heure le pélerinage qu'il a lui même effectué pendant plus d'un mois au monatère marocain où réside actuellement Jean Pierre Schumacher, et cette implication peut aussi être la limite de l'auteur, sans doute un peu moins instructrive et plus maniéré que le premier ouvrage. Cela dit, pour qui n'aura pas l'opportunité de lire L'esprit de Tibhirine, cet essai n'en demeure pas moins un témoignage essentiel d'un homme qui aura connu l'indicible et dont la parole, de par sa rareté et sa bienveillance, reste profondément essentielle.