Création originale de Canal+, la série "The Young Pope" arrive ce soir sur la chaine cryptée, co-produite par les chaînes Sky et HBO après avoir été diffusé en avant première à la Mostra de Venise , au Festival Lumière  ou dans d'autres villes de France, grâce à Canal Plus, parfois en présence de l'équipe du film. Pourquoi un tel privilège? Tout simplement parce qu'elle est l'oeuvre de Paolo Sorrentino, le cinéaste italien habitué des festivaliers et que c'est la star Jude Law qui incarne le pape....

Profitant d'une de ces différentes projections en avant première, notre collaborateur, Pablo a vu sur Bordeaux les deux premiers épisodes de la série,  et nous en fait une longue et très détaillée analyse avant la diffusion de ce soir.

Le distributeur français (Canal+, pour ne pas le citer) avait parfaitement rempli son contrat, en nous vendant parfaitement la chose: "Paolo Sorrentino, oscarisé avec La grande bellaza, dirige Jude Law, dans le rôle de sa vie".

La mission semblait accomplie, vu le nombre de personnes ammassées dans une des salles "cocon" de ce magnifique cinéma en plein centre de Bordeaux, à quelques pas de la place des Grands hommes.

Tout le monde avait l'air impatient de découvrir, avant son 1er épisode télévisé programmé lundi 24 octobre en France, la nouvelle création original de la chaîne criptée, tellement à l'aise dans ce secteur (Le bureau des légendes récemment, mais aussi l'irrésistible Workingirls, il y a de ça quelques années).

 Six contributeurs du monde entier ont donc pris le risque de miser sur l'histoire, qui ne ressemble sans doute à aucune autre, du pape Pie XIII, cardinal américain, quadragénaire (!), qui vient de devenir premier souverain pontif, grâce à une élection qui ne semble pas s'être déroulée dans la règle "sacrée des travées du Conclave". Sorrentino s'intéresse presque exclusivement à la menace et au déréglement physique et psychologique de ce personnage atypique et calomnieux.

Ce dernier est, comme il le dit lui-même, une véritable contradiction: sexy et blagueur, il est aussi dictateur et ultra-conservateur, ainsi que puriste et revanchard. Il rénove les lois du Vatican, en s'autorisant à fumer dans l'enceinte même du lieu saint.

Mais, en même temps,  il rappelle, aussi, à tout le monde, par un humour sombre qui se transforme en sombres paroles, que c'est lui, en tant que Sainteté, qui a la main sur la vie d'un milliard de personnes et que cette dernière sera remise en question par ces cruelles décisions.

 L'anonymat total est aussi un aspect important de cette prise de fonction inattendue. La ressemblance avec Habemus Papam (référence de l'autodérision italienne et catholique) n'étant pas loin, Pie XIII se prend pour Banksy et les Daft Punk. Il se transforme, désormais, de son plein gré, en un véritable artiste dangereux, au sommet d'une des premières institutions mondiales.

Dans cet univers ultra-codifié, il décide de se faire très vite une "armée de fidèles", pour parer à ses détracteurs, ainsi qu'à cette partie d'échec religieuse et idéologique tendue qui commence, du au fait que les cardinaux doutent de la capacité du nouveau pape à diriger l'Eglise.

On retrouve dans les rangs du "Très Saint-Père", Soeur Mary, qui a veiller sur lui, orphelin, pendant de longues années, ainsi qu'un autre homme (le cardinal Gutierrez, bouleversant Javier Camara), solitaire et désabusé par la vie au Vatican.

Et, face à lui, se dresse le cardinal Voiello, grand supporter du Napoli, secrétaire d'Etat au pape, se trouvant (presque...) toujours en désaccord avec lui mais soumis à son autorité (il est d'ailleurs démis de ses fonctions de secrétaire, aux dépends de... Soeur Mary!), se demandant, à la fin du 2e épisode épisode, s'il ne serait déjà pas tant "de sauver l'Eglise"; ainsi que le cardinal Spencer (sublime James Cromwell), dépressif, psychopathe, qui juge que Lenny Belardo (nom mortel du pape) lui a "volé sa place".

 Avec ce premier volet d'ne heure quarante, Sorrentino arrive, avec brio, à mettre en place son fil conducteur dramatique: de secrets en secrets, la vérité concernant ce pontificat, qui risque de finir en pugilat, va être révélé. Ainsi que l'énigme que se pose l'intrigant Pie XIII, à savoir le besoin de comprendre pourquoi ses parents l'ont abbandonné.

Sa relation avec Dieu est, notamment, un atout important dans sa quête de réponses. Enrichie par un scénario complexe, glaçant et enivrant, la mise en scène, purement cinématographique, coule de source, quitte à déranger (tout première scène, le cardinal Belardo sortant d'un mur de bébés (!) sur la place Saint-Marc), mais aussi à nous émerveiller (changement de météo lors du cauchemar du pape).

Le réalisateur italien est un véritable artiste-peintre métaphysique, qui, en transformant ses acteurs en archétypes antipathiques, arrive au sommet de son art technique.

Trois protagonistes semblent particulièrement à l'aise avec la soutane: Jude Law, tout d'abord, impeccable dans son rôle délicat de souverain pontif qui prend à contre-pied les préceptes catholiques pour mieux les faire respecter, de façon très obscures; Diane Keaton, excellente en bonne soeur qui n'a pas "vraiment vécu", elle est adroite, en y campant une cathartique ambitieuse, soucieuse de la folie de Lenny Belardo, elle réussit à être drôle et émouvante dans un rôle très difficile; et Silvio Orlando, le cardinal Voiello, à la fois obéissant et rebelle, il représente l'évangélisation de la chrétiéneté, avec une interprétation tendre, cachant déjà un secret très important...

 Mais, malheureusement, avec ce sur-plein d'idées et cette envie de trop bien faire (et de trop en faire...!), les grandes qualités de cette série font apparaître certaines limites, et "ce jeune pape" nous déçoit naturellement. Là où Habemus Papam émeut, par son surréalisme et son classicisme, celui de "The Young Pope" est faux et non-assumé. De plus, au fur et à mesure des minutes, on tombe dans une profonde indifférence léthargique.

Elle réside dans le choix du lieu où la part d'invention devient floue: le Vatican, si immense, se trouve en plein centre de Rome, capitale et carrefour économique italien, qui relie Milan à Naples, ou encore Florence à Venise. Mais le Vatican est aussi un "Etat", clos, secret, où (presque) rien ne filtre de l'exterieur. Et le parti pris de Sorrentino, avec ce pape fantaisiste, burlesque et intensemment anarchiste, tourne à vide: le pape François est-il comme cela? Peut-être...; Boit-il des "cocas Cherry" tous les matins? Peut-être!; N'aime t-il pas les relations amicales? Sans doute... 

En se faisant l'avocat de l'Antéchrist, on se dit, au final, que cette stratégie de l'immersion totale ou partielle nous mène droit vers une route sans-issue, et que cette série ne peut pas être considérée comme réformatrice avec un sujet aussi sensible et, surtout, dépourvue de documentation.

 Alors qu'est-ce? Un divertissement somme toute agréable où le metteur en scène transalpin arrive à nous faire rire la gorge nouée. A la reflexion, tout cela n'est déjà pas mal...