Oates, Vann, Appanah : trois sorties poche qui forcent l'admiration..
Les chroniques autour des livres de poches continuent à figurer parmi celles qui sont les plus lues et c'est normal vu que ces livres s'achètent bien plus qu'en version grand format, vu le prix bien plus raisonnable...
Du coup, après un récent article sur plusieurs poches lus pendant cette rentrée, on récidive avec trois autres romans- plutôt deux romans et un roman graphique sortis récemment et qui sont l'oeuvre de grands romanciers confirmés , Joyce Carol Oates, David Vann et Natacha Appanah:
1. Mère Disparue; Joyce Carol Oates- Editions Points
« En plein repas, maman se glissait dans la cuisine pour rincer subrepticement quelques assiettes dans l’évier, les mettre dans le lave-vaisselle, puis elle revenait à table, un sourire innocent aux lèvres. Prendre de l’avance sur la vaisselle était pour maman ce que les rapports sexuels illicites étaient pour certains. »
Nikki, jeune journaliste trentenaire ne veux surtout pas avoir la vie de sa sœur, caricature de « Desperate Housewife » ni celle de sa mère, exemple de vie modestement rangée, triste et convenue. Á la mort de cette dernière, assassinée par un sdf, Nikki revient dans la petite ville de son enfance. Dans la maison familiale, la jeune femme va mettre ses pas dans les pas de sa mère et découvrir une autre femme.
Un roman portrait, l’histoire d’une femme qui se cherche, qui se débat pour s’affranchir et exister. Un roman féministe simple et optimiste. un roman sur la perte. C’est de la pure littérature, un savant mélange du XIXe siècle dans l’écriture des personnages et du XXIe siècle pour la description de la psyché d’une femme d’aujourd’hui.
Joyce Carol Oates écrit quotidiennement de 7 heures à 13 heures, c’est pour cela qu’à ce jour elle est l’auteure d’une cinquantaine de romans, le double de nouvelles, des essais, des articles et en plus elle trouve le temps d’enseigner la littérature à Berkeley. Oates écrit sur tout, sur tous dans des styles complètement différents.
Sa technique est implacable, c’est un travail de dentellière parfait. Le Nobel lui passe chaque année sous le nez tant pis pour Stockholm, le lecteur, lui, s’en fiche, il est déjà plongé dans le dernier Joyce Carol Oates qui vient de sortir.
Y'a pas à dire, de toutes les matières littéraires, C'est vraiment la Oates qu'on préfère
2. Sukkwan Island- Ugo Bienvenu/ David Vann ( Folio)
"- Q'est que tu penses de tout ça?
- De quoi?
- De tout ça, de la vue ,d'être ici, avec ton papa
- Ah oui c'est sympa"
-Tout le monde ou presque se souvient de la publication chez Gallmeister, il y a quelques années déjà, de "Sukkwan Island", écrit par un auteur américain alors inconnu, un certain David Vann, tant ce bouquin, le premier de son auteur, avait fait un buzz incroyable et que pratiquement tous ceux qui l'ont lu en étaient essortis complétement sonnés, et totalement subjugés par le style et le sujet;
Ce livre- et cette adaptation en BD qui sort en poche- appartiennent au genre qu'on appelle depuis quelques années du "nature writing", autrement dit le retour à la nature, thème cher au cinéma américain ( Into The Wild, Seul Au monde, Tree of live, Mud ) ..
Incontestablement David Vann possède un vrai talent à planter un décor et instiller un univers d'une noirceur, mais une noirceur quand même difficilement supportable qui atteint un climax total aux deux tiers du livre avec un rebondissement qui secoue par sa brutalité.
En me plongeant dans une adaptation BD d’un jeune réalisateur français, Ugo Bienvenu, qui se lance dans l’aventure de la bande dessinée en adaptant ce roman qu’il adore et dont la lecture avait été un choc dont je vous ai parlé au début de ce billet.
Et la lecture de cette BD ( enfin plutôt de ce roman graphique) m’a convaincu que les environnements austères, arides, passent mieux pour moi avec le visuel et ici les dessins d’Ugo Binevenu réussissent parfaitement à témoigner de cet environnement naturel fait de paysages arides, rendus plus sauvages encore par l’arrivée des premières grosses neiges.Des dessins vibrants, pénétrants et précis, et que les regards des deux anti héros de l'histoire sont assez intenses.
3. En attendant demain, Natacha Appanah Folio)
"Est- ce qu'il y a un silence tout à coup ou Adèle l'a t- elle imaginé?Comme si quelque chose avait aspiré tout son, avant le terrible grincement aigu d'un coup de frein.Adèle est projetée contre les portesqui la retiennent, la font basculer sur la fille aux tic-tac puis i lya un grand baam! Elle est à nouveau projetée contre les portes.Celle ci s'ouvre et Adèle comme un aigle noir, vole.."
Adam et Anita se sont rencontrés à vingt ans étudiants à Paris et avec tous les deux ce même sentiment de ne pas être à leur place et après une vie de couple particulièrement épanouissante ont vite vu le quotidien et les désilusions prendre le pas. Heureusement, ce morne quotidien est bouleversé par la rencontre que fait Anita d’Adèle et se lie d’amitié pour cette belle femme sans papiers et au lourd passé.
Adèle sera le déclencheur d’une nouvelle flamme créatrice pour le couple mais également la porte d'entrée d'une tragédie irréfutable pour le couple que l'on devine dès les premières pages du roman.
On pense un peu au dernier prix goncourt la chanson douce de Leila Slimani en lisant ce roman sur les mensonges et la banalité d'un couple, et l'arrivée d'abord salvatrice puis tragique d'une tierce personne.
La romancière mauricienne Natacha Appanah est particulièrement habile à décrire les renoncements, les espoirs et autres petites morts de la vie conjugale et de ces solitudes dans lesquelles il est si facile de s’enfermer, d'une plume qui sonde avec beaucoup d'acuité les états d'âme éphémères et ces petites sensations du quotidien qui nourrissent le sentiment de vivre.
La fin, un peu abrupte, tranche certes un peu avec le reste du roman mais l'ensemble prouve l'immense talent d'une auteur qui a récidivé de fort belle manière lors de cette rentrée littéraire avec le très beau « Tropique de la violence »,