Critique théâtre: STADIUM de Mohamed el Khatib
Des hommes et des femmes qui racontent leur meilleur souvenir de match avec des larmes dans les yeux, c’est ainsi que commence Stadium, le nouveau spectacle de Mohamed el Khatib. Un titre aux accents grec ancien, comme pour replacer la pelouse au centre de la Cité.
Le monde est un stade
Le stade, et plus encore les tribunes, apparaissent comme le microcosme de notre société, dans ce qu’elle a de plus beau : la fraternité, la mixité, l’enthousiasme ; et de plus dure : la compétition, la violence, la xénophobie… En se concentrant sur les supporters du Racing Club de Lens, le travail de Mohamed el Khatib révèle une réalité sociale plus précise encore : celle du bassin minier du Nord Pas de Calais, où le terrain se confond avec le terrie et où l’histoire du club est indissociable de celle des corons.
Seul exutoire d’une vie de labeur, prolongement de sociabilité ouvrière, le foot galvanise toute une communauté de la mine au stade (ou au café) pour, remarquent tout de même certain, « regarder courir des hommes qui gagnent dix fois notre paye »… C’est pourtant cet espace de fantasme, cette parenthèse de rêve qui rassemble autour des héros modernes que sont les footballeurs. Le déclin de l’âge industriel n’entrainera pas celui du sport, bien au contraire.
La tribune sportive se fait politique, et autour du comptoir se discute autant l’arbitrage du match que celui du pays. Haut lieu de revendication sociale, ces réunions de supporters entretiennent la tradition socialiste et communiste de la région. De là à faire le lien entre engagement sportif et politique, activistes et ultras, il n’y a qu’un pas que certains témoignages invitent à envisager. Etrangement, à cette ardeur politico-sportive se mêle une ferveur toute religieuse : on adule un joueur, on pleure, on prie pour le club, on appelle au miracle avant un match…
Le stade est un théâtre
En portant la tribune à la scène, c’est à d’autres gradins que le spectacle nous renvoie : ceux-là même du théâtre sur lesquels nous sommes assis. Dans cette mise en miroir, face aux bruyants supporters les timides spectateurs font pâle figure. C’est toute une conception du spectacle et un rapport regardé/regardant qui diffèrent : les uns sont jugent et observent, les autres sont partie prenante et vivent ce qui se joue sous leurs yeux. Poussé dans les retranchements de ses idéaux de libertaire et populaire, le théâtre et plus largement le monde de la culture n’en mènent pas large face à celui du sport ; le second réalisant de fait les promesses du premier. Alors quel est cet ingrédient secret que possèderait le foot et qui manque si cruellement au théâtre ?
Fidèle au concept du "ready made" dont il se réclame, El Khatib ne donne pas de réponse. Il expose situations et protagonistes sans prendre parti, découpant dans le réel quelques morceaux choisis, qu’il met sur scène, plutôt qu’en scène. En vidéo ou en direct, les témoignages sont livrés bruts, sans traitement ni filtre artistique.
A travers ce premier degré de lecture apparaissent pourtant, comme malgré eux, quelques moments de magie : c’est le trait d’esprit d’un slogan, une scène qui fait tableau, un témoin qui devient personnage…
Autant de moments de théâtre un peu noyés dans le foisonnement de scènes qui font crier certains à la démagogie, jouant sur les ficelles un peu grosses de l’applaudimètre, tirant la petite larme ou la pousser la chansonnette.
La frustration (la jalousie ?) du metteur en scène face à l’arbitre, de l’artiste face au sportif, du spectateur ace au supporter demeure…
A quand des bus remplis d’un public en furie, bariolés aux couleurs d’une compagnie, prenant la route à travers la France pour encourager un spectacle rediffuser sur les chaines nationales ?