A la Ligne; Joseph Ponthus/ un grand poème prolétarien
On l'a appris cette semaine : Le quatrième prix Régine Deforges a été attribué à Joseph Ponthus pour son premier roman A la ligne (éd. la Table Ronde),
Ce prix lui sera remis officiellement lors du salon Lire à Limoges à suivre du 3 au 5 mai. Un roman formidable qu'on a dévoré d'une traite.
« Á quelle heure se lever se coucher faire une sieste manger boire un café ou l’apéro
Je pensais tout décaler de douze heures
J’embauche à vingt et une heures donc c’est comme si c’était neuf heures du matin et le reste suit au niveau correspondance horaire
Fin du taf à cinq heures soit dix-sept heures
Mon cul
L’organisme est autant perdu que moi dans cette nouvelle usine »
Il a quitté son travail d’éducateur spécialisé en banlieue parisienne pour les beaux yeux d’une bretonne. Hélas, ici, les emplois dans le social sont rares alors que les conserveries de poissons et les abattoirs de Bretagne manquent de bras. Il faut tout de même un travail alimentaire pour boucler les fins de mois, et ici alimentaire veut dire intérimaire et précaire.
Heureusement Joseph le narrateur à encore les beaux restes d’un heureux cursus littéraire, alors pour supporter ce gagne-pain éreintant, mal payé et mal considéré, il convoque Cendrars, Aragon, Apollinaire, Péguy, Dumas ou Trenet. Réciter « les Poèmes à Lou » devant des mamelles de laitières Holstein ou chantonner « Y a de la joie » au milieu des abats de bœufs cela permet de rester un être humain.
Pour se sauver, pour survivre, Joseph va rendre son usine d’intérim, poétique et intime. « Á la ligne » devient alors une élégie dans laquelle il est Ulysse face à tas de bulots, ou D’Artagnan ferraillant contre des queues de vaches.
Chanter à tue-tête « La folle complainte » en nettoyant l’atelier découpe de porc pour se donner du courage.
Véritable reportage littéraire, de la France que certains ont osé appeler « d’en bas ».
Un journal intime, physique et organique d’un ouvrier qui décrit sa vie à bras le corps. Ce corps qui souffre, dos cassé, bras lourds, doigts gours, corps brisé qui pleure de fatigue, mais aussi l’humour au quotidien comme un onguent pour apaiser.
Douleur, sueur, peur « Á la ligne " n’est pas qu’un poème prolétarien, c’est surtout.le constat, la photographie d’un monde qui souffre.
Un grand livre.
A la ligne : feuillets d'usine : La Table ronde, 2019