Théâtre à Lyon : Le Quai de Ouistreham :Louise Vignaud adapte avec force le récit édifiant de Florence Aubenas
La vie de femmes de ménage en temps de crise.
" Je suis journaliste : j’ai eu l’impression de me retrouver face à une réalité dont je ne pouvais pas rendre compte parce que je n’arrivais plus à la saisir. Les mots mêmes m’échappaient. Rien que celui-là, la crise, me semblait aussi dévalué que les valeurs en Bourse. J'ai décidé de partir dans une ville française où je n'ai aucune attache, pour chercher anonymement du travail. Je ne suis revenue chez moi que deux fois, en coup de vent : j'avais trop à faire là-bas. J'ai loué une chambre meublée. J'ai conservé mon identité, mon nom, mes papiers, et je me suis inscrite au chômage avec un baccalauréat pour seul bagage. [...] J’avais décidé d’arrêter le jour où ma recherche aboutirait, c'est-à-dire celui où je décrocherai un CDI. Ce livre raconte cette quête, qui a duré presque six mois, de février à juillet 2009. »
La journaliste Florence Aubenas, (tristement?) célèbre pour avoir été retenue prisonnière en Irak en 2005 pendant 5 mois avait également marqué les esprits quelques années plus tard en publiant un ouvrage Le Quai de Ouistreham, témoignage d'une grande force littéraire qui décrivait son immersion totale durant six mois dans le monde des travailleuses précaires à Caen.
Florence Aubenas s'était plongée en 2009, et ce, pendant plusieurs mois , dans la peau d'une travailleuse précaire cherchant du travail et tentait de vivre le quotidien d'une femme de ménage, couru d'un travail précaire à un autre, occupée à traquer les annonces, s'y présenter, pointer à Pôle Emploi, faire des formations, nettoyer les toilettes d'un ferry.
On vivait pleinement avec elle la dure réalité du chômage, le poids de la détresse mais aussi la chaleur des solidarités.
On est admiratif devant ce témoignage original et poignant, sans pathos et avec un sens du détail qui en donne toute son authenticité, de cette quête de l'emploi stable qui viendra enfin clôturer cette expérience unique.
Ce récit journalistique est désormais mis en scène par Louise Vignaud et totalement investie par la comédienne Magali Bonat qui s’approprient pleinement ce texte et font entendre la parole de ces femmes qui récurent, astiquent, briquent.
Pratiquement sans décor, sans accessoires, dans un rapport frontal au public, la pièce se revèle d'une grande épure , laissant toute la place à la puissance du témoignage.
Durant une heure, totalement seule au plateau, la formidable comédienne Magali Bonat recrée avec une belle sincérité les situations, les interroge, nous interroge avec tendresse et même, et bien que la situation ne s'y prête guère, une pointe de dérision, déjà présente dans le texte d'origine.
Magali Bonat est vraiment bluffante dans cette pièce :son jeu est précis, particulièrement impliqué. Dans chaque geste, dans chaque mot, on ressent en elle, cette fatigue générale, ce détachement dont Florence Aubenas avait su formidablement rendre compte dans son livre.
Avec cette pièce course mais qui ne laisse aucun répit, le plateau de théâtre devient un lieu de prise de conscience, aussi nécessaire dix ans après la parution de ce livre choc.
Du 6 au 9 octobre 2020 à 20 h
Le 10 octobre 2020 à 19 h 30
Une pièce vue à Paris au Théâtre 14