L’incroyable épopée photographique des frères Roux dans la Grande Guerre
Les historiens Yves le Maner et Yann Prouillet publient l’incroyable et poignant témoignage photographique des frères Roux dans la Première Guerre mondiale.
Joseph Roux né à Quincié-en-Beaujolais en 1881, et Loys né à Buxy, Saône-et-Loire, en 1882, ont deux frères et une sœur. Ils sont tous enfants de Marie et Jean-Baptiste, lequel est receveur des postes.
Un travail de reporters de guerre
De milieu catholique pratiquant, les deux frères deviendront tous deux prêtres, et ordonnés respectivement en 1907 et 1908. Ils seront tous deux engagés volontaires au front, l’un des deux n’en reviendra pas. Loys, le survivant, sera le curé de Chénas (Rhône) jusqu’à sa retraite en 1959.Il meurt à Vernaison, près de Lyon, en 1970.
Reste aujourd’hui un témoignage photographique unique, une sorte d’encyclopédie visuelle de la Grande Guerre constituée de façon ininterrompue pendant 52 mois, un travail d’historiens du quotidien, de reporters de guerre. Cette matière foisonnante a servi à l’ouvrage des historiens de la Première Guerre mondiale, Yves Le Maner et Yann Prouillet.
Infirmiers, prêtres et fossoyeurs
Les frères Roux ont traversé les secteurs majeurs du front ouest, documentant une multitude de facettes de la vie des combattants, des plus anecdotiques aux plus tragiques.
Tous les jours sans relâche, dans toutes les situations, y compris au cœur des combats, les deux frères prendront des photos, parallèlement à leur mission d’infirmier, mais aussi de fossoyeurs.
En tant que prêtres, ils enterreront leurs camarades, diront des messes, et écriront aux familles. Pour financer leurs pellicules et leurs matériels, ils vendent de temps en temps une photo au grand journal de l’époque, L’Illustration, ou au service des armées.
Documents rares en Europe
Les photos, d’une grande qualité technique, montrent les réalités crues de la guerre : les cadavres, les paysages dévastées et les villages rasés de la Somme, les soldats gazés, l’enfer de Verdun, le 16 avril 1917, premier jour de l’offensive du Chemin des Dames : « Certaines photos sont d’une rareté exceptionnelle, note le co-auteur du livre et historien Yves Le Maner, il n’en existe que deux ou trois de cette nature en Europe. »
Ils fixent aussi les bons moments : les permissions, les pauses, le cessez-le-feu du 11 novembre 1918 à 11h. Inutile de préciser combien ces photos de guerre plus que centenaires, résonnent douloureusement avec nos images de 2023 et des conflits d’Ukraine ou du Proche-Orient.
Joseph Roux disparu à jamais
Ce jour funeste du 21 décembre 1916, Joseph est tué par un obus lors d’une offensive, en voulant sauver un camarade. Son frère ne retrouvera jamais ses restes, ne pourra jamais l’inhumer. Il mettra quatre mois avant de retrouver le courage et l’envie de reprendre une photo : « Au fil des commentaires, on voit que le prêtre belliciste au début du conflit, deviendra pacifiste au fil des mois », commente Yves le Maner.
Une photo émouvante montre le père Loys Roux en soutane, seul, sur un banc près de l’église de Montchat à Lyon, après la guerre, le 14 juillet 1919, cinq ans jour pour jour après un premier cliché, au même endroit, il posait alors au côté de son frère Joseph.
La vie des deux frères Roux inspirerait à coup sûr un grand film ou un roman tragique « d’après une histoire réelle ». En attendant c’est un ouvrage d’historien passionnant et poignant, signé Yves Le Maner et Yann Prouillet, La Grande Guerre de Joseph et Loys Roux, qui est édité par les Archives du département du Rhône et de la métropole de Lyon et l’ECPAD (Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense). Cet ouvrage est donc composé avec talent à partir du fonds d’archives de Joseph et Loys Roux.
Un fonds d’archives très convoité de 2000 pages
Le fonds Roux rassemble près de 2000 pages de carnets de guerre tenus quotidiennement par Loys Roux, sans interruption d’août 1914 à décembre 1918, et plus de 1500 photos, réalisées par Joseph jusqu’à sa mort au front, en décembre 1915, puis par Loys jusqu’à la fin de la guerre.
Les historiens se sont attaqués à ce travail de synthèse qui aboutit à ce livre de 272 pages, présenté en conférence et en signature, le 7 novembre dernier aux Archives départementale et métropolitaine à Lyon.
« Nous avons dû faire des choix difficiles, explique Yves le Maner, nous avons éludé par exemple des photos de messes qui étaient nombreuses, sourit l'historien… C’est une mine incroyable pour les historiens et les archivistes. Chacune des photos est annotée, numérotée, commentée, géolocalisée, remise dans le contexte. Un travail que Loys Roux a peaufiné avec soins après la guerre. Les frères Roux ont mâché le travail des historiens. »
Retrouvés au fond d'un garage
Ce mystérieux fonds d’archives, encore très mal connu entre la mort de Loys Roux en 1970, et les années 2010, suscita de nombreux fantasmes chez les historiens, dont beaucoup savaient qu’il recélait des pépites.
Et puis, en 2020, les Archives du département du Rhône et de la métropole de Lyon acquirent en vente publique les dix carnets et albums photographiques du journal de guerre de Loys, puis en 2021, 998 autres tirages des frères Roux sont donnés par Claude Raffin, petit-neveu de Joseph et Loys, à l’ECPAD. Ce parent, émigré aux Etats-Unis, avaient retrouvé les documents dans un carton, au fond de son garage !
La Grande Guerre de Joseph et Loys Roux, Yves Le Maner et Yann Prouillet, Editions Archives départementales du Rhône et de la Métropole de Lyon, 272 pages - 19,5 x 26 cm, 29 euros.