Rencontre avec Irène Jacob pour son roman "Big Bang "
À l’occasion des représentations lyonnaises de sa pièce Retour à Reims qui se sont déroulées en janvier dernier, la comédienne Irène Jacob a eu l’occasion de nous présenter son roman Big Bang (voir notre chronique de son livre) .
Dans son tout premier livre publié en novembre dernier, elle y relie la disparition du grand physicien Maurice Jacob à la naissance de son fils.
Dans ce récit très personnel, à la fois solaire et lumineux, Irène Jacob parle du miracle de la vie et de l’infiniment grand, mais aussi de la perception du temps, des souvenirs, des émotions.
On a pu, à cette occasion rencontrer pendant plus d'une heure la très gracieuse Irène qui nous a expliqué pourquoi notamment elle a éprouvé une telle envie de passer enfin à l'écrit, le tout accompagné de son sourire que d'aucuns ont considéré à juste titre comme l'un des plus beaux du cinéma français :
"Je prête beaucoup ma voix à des auteurs, pour des pièces de théâtre ou des lectures publiques, et sans que cela soit une frustration, j'avais depuis longtemps ce désir d'écrire à mon tour mes propres mots.
A cette fin, j'ai l'habitude d'écrire des notes au gré des tournées dans des carnets, et j'ai éprouvé le besoin de rassembler ces écrits dissimés ici et là.
Depuis des années, j’avais accumulé des notes dans différents carnets que je trainais partout avec moi.
J'avais notamment collecté pas mal d'écrits dans lequel il était question de la maladie de mon père. En même temps, j'avais quelques écrits sur la grossesse et j'ai eu envie de rassembler ces deux thèmes .
Je connaissais un peu l'éditeur d'Albin Michel et quand je lui ai parlé de cette idée, il m'a dit que c'était un excellent projet, peu fait jusqu'à maintenant et que je devais foncer.
Le plus difficile a été d'écrire les bonnes transitions entre ces écrits, et de me mettre plus en scène car les passages que j'écrivais était de l'observation et je ne mettais pas forcément en actrice dedans.
Le travail que j'ai eu à faire avec l'éditeur a plus été de mettre en forme ces passages où je parle de moi, de mon compagnon, de mes enfants et d'articuler ces moments là avec mes anciens écrits .
"Cette autofiction sur le deuil et la maternité s’adresse aussi bien à l’une qu'à l’autre de ces deux thématiques.
J'ai voulu sonder ce qui nous rassemblait et ce qui est essentiel en nous, c'est de cela dont je voulais parler et le titre "Big Bang" était tout trouvé vu la profession de mon père .
Entre ces deux bords inconnus, la naissance et la mort, j'ai cherché un possible équilibre.
"La mort d'un proche, la naissance d'un enfant, ce sont des moments qui nous donnent une connexion avec l'infini ou l'on se sent aux prises avec quelque chose de plus grand de plus dense que nous. J'ai voulu écrire sur la densité de la vie et la densité de la présence.
J'étais très fière de mon papa, toutes les semaines on allait déjeuner au CERN voir de plus près ce grand accélérateur de particules et cela me paraissait tellement incroyable et mystérieux à mon regard d'enfant. Et c'est assez fou de se rendre compte que pendant une grossesse, notre corps devient un puissant accélérateur de particules, je me suis senti pour ma part soulevée par une énergie folle et j'ai vu mon ventre s’arrondir comme la courbe ronde de notre Terre.
Dès lors , le parralèle entre les deux mondes, celui de la grossesse et celui de la physique quantique, m'a dès lors semblé assez inéluctable .
De fait, j'ai aimé cette idée de relier physique quantique et les ressorts intimes des relations familiales.
Vous savez, je ne comprenais pas grand chose aux conférences de mon père ou à ces explications, mais ce mystère ne m'a jamais totalement laché. J'ai toujours laissé une place dans mon travail d'actrice notamment à ce mystère de l'infini qui a fait partie de moi .
Dans ces deux frontières là, il y a un silence et des interlocuteurs, un père qui disparait, un enfant qui va arriver, certes invisibles, intangibles mais à qui on peut néanmoins s'adresser. A la naissance d'un enfant, viennent se joindre les deuils et histoires familiales de notre passé. Je suis née au moment où les physiciens s'interessaient énormément au mystère de l'univers qui amène toujours beaucoup de réflexions, autour de la mémoire et du temps »
"Ces histoires- ce deuil et cette grossesse- sont toujours vivants en moi, même si cela s'est passé il y a déjà plusieurs années et c'est aussi pour cela que je me suis accordé le droit d'y insuffler un peu de fiction.
J'ai voulu jouer un peu avec les dates car en réalité, contrairement à ce que je dis dans le livre mon père est mort quelques années après la naissance de mon second enfant (NDLR: son second fils est né en 2004 son père est mort en 2007) mais je me suis dit que cela n'était pas essentiel dans mon projet.
J'ai l'impression que parler d'une naissance ou d'un deuil sont des élements qui échappent au temps, que cela nous parlera toujours .
J'ai aussi changé les prénom de mes proches pour pouvoir assumer ma part de fiction et que ceux ci ne me reprochent pas d'avoir une vision subjective des faits ."
"Je me suis approprié ce vocabulaire scientifique en y mettant une touche de poésie avant tout parce que je ne la maîtrise pas du tout comme peuvent la maitriser les scientifiques que j'ai cotoyé, c'est à dire de manière concrète, technique.
Vous savez, j'ai grandi avec un tas de concepts mystérieux et aux noms très poétiques comme "le grand accélérateur", l"es 23 dimensions," "le trou noir" , l"es forces faibles"," les matières cachées".
En y réfléchissant un peu, je me suis dit que ce vocabulaire est comme un lexique que je pouvais appliquer à ma propre vie et à ma famille .
Les scientifiques que j'ai croisé au long de ma vie ont toujours accepté de s'incliner devant le mystère de l'univers, ils considèrent qu'on ne connait que 5% de la matière,;le reste étant totalement au delà de notre connaissance.
Voir comment ces gens là, très humbles, assument cette ignorance, est quelque chose qui me touche profondément .
C'est très difficile d'accepter que quelque chose nous échappe, et pourtant je le vois à mon niveau, lorsqu'un cinéaste ou un metteur en scène de théâtre parvient à saisir ce qui m'échappe, cela peut parfois être ce qu'il y a de plus beau ( sourires).
C'est pareil dans la façon dont les mots vous rattrapent meme quand on ne les comprend pas totalement . Je cite l'exemple de ce poème de Baudelaire que j'ai gardé en mémoire pendant toute ma vie des que je l'ai appris jeune alors même que je ne l'aimais pas particulièrement, qui avait une certaine dureté mais à travers les époques c'est celui ci qui m'a définfi le plus .
On ne sait pas toujours comment les choses nous traversent et ce n'est pas forcément quand on sait pourquoi elles nous traversent que c'est aussi le plus interessant.
C'est quand ces choses nous échappent qu'elles parviennent à toucher le plus possible les autres."
"Je parle dans mon livre de la dépression de mon père et des autres membres de ma famille dans mon livre mais sans pour autant me considérer comme moi même dépressive, au contraire. Vous savez, avoir peur de la dépression, ce n’est pas être dépressif.
La joie est un chemin parfois très difficile à atteindre et inexorablement, la mélancolie a pris place dans cette famille jusqu’à pousser ma grand mère à se défenestrer…
Mon père a toujours eu du mal à parler de la dépresssion de sa mère, comme celle de son frère et encore plus de celle qui l'a touché pendant 5 ans mais dont il est sorti.
Ce mystère là faisait partie intégrante de lui et il était essentiel d'accepter sa complexité, de la même manière qu'il accepte la complexité de l'infini dans son travail .
J'ai mis pas mal de mes rêves dans mon livre pour toucher à cette complexité, ces rêves étaient aussi une manière d'approcher cette inconscient et de trouver en quoi l'on peut être touchés par ce langage différent de celui de la conversation de tous les jours.
Le temps de revivre les souvenirs, des êtres qui nous ont aimé et qui sont partis reviennent aussi traverser le temps et les époques. Je tenais aussi à toucher du doigt cet aspect là dans mon livre. "
© Crédit photo : Richard Schroeder
Big Bang.(Éditions Albin Michel – novembre 2019/ 240 pages).
On ne se lasse pas de la très belle dédicace que la comédienne m'a délivré après la rencontre ..