Cécile de France est en état de grâce dans "la Passagère" , premier long métrage de  Héloïse Pelloquet dont on a chanté les louanges la semaine dernière et qui sort ce mercredi 28 décembre en salles. 

Elle éblouit en femme  libre de ses désirs, partagée entre deux hommes, Grégoire Monsaingeon et Félix Lefèbvre.

Rencontre lors de sa venue à Lyon  avec une actrice-née, héroïne iconoclaste, et douceur faite femme.

 Chiara, travailleuse qui embrasse l’océan et tombe amoureuse de son très jeune apprenti est un rôle formidable, n'est ce pas? Qu’est-ce qui vous a séduite dans cette histoire d’une femme forte qui vacille pour un très jeune homme ?

M’identifier à celle qui, par amour, désobéit et s’affranchit me plaisait. C’est le luxe du cinéma de pouvoir se libérer de ses chaînes, des injonctions, des convenances…

Chiara  brave sa peur de déplaire et ose se confronter aux bien-pensants. Elle se fiche de la morale car elle écoute son coeur, son désir, son plaisir. En privilégiant son bien-être à une contrainte d’ordre social ou culturel, elle accepte ses élans et s’émancipe.. Solide, dure au mal, ancrée dans le réel, elle cache en fait sa fragilité.

L’arrivée de Maxence bouleverse ses certitudes et brise l’équilibre, raisonnable, qu’elle a construit…
Cette passagère qui n'appartient à personne, ni à la famille qui l'a accueillie sur l'île, ni à son mari Antoine, c'est une femme libre qui prend la vie comme elle vient.

Chiara est une femme bourrue, à la fois forte et vulnérable, dont émane aussi beaucoup de sensualité ?

Oui, Chiara est une femme sensuelle, mais sans artifice, elle n'a pas la beauté imposée par les normes. C'est une femme mûre, qui travaille et dont un jeune homme tombe amoureux, et en plus, son habit de travail sent le poisson (rires) ! Maxence est d'ailleurs séduit par sa force, son courage et son humour.

C'est une  femme qui se laisse emporter par ses transports amoureux... et les scènes d'amour sont filmées avec énormément de pudeur. Vous êtes filmée à fleur de peau jusque dans la jouissance : comment avez-vous composé avec cette caméra au plus près ?

 Sans vraiment de difficulté.

Je me suis mise au service de la réalisatrice dans une confiance totale, il faut dire que j'avais vu les courts métrages de. Héloïse Pelloquet et je connissais sa sensibilité.

Ici, elle adopte un point de vue naturaliste et bienveillant. Sa mise en scène, intime, sans artifice, capte de façon sincère le mouvement, l’expérience charnelle, la sensualité.

Il n’y a pas de revendication féministe, mais un message universel : faire vibrer tout un chacun, découvrir, ressentir, au-delà du genre et de l’âge.

Chiara assume complètement sa recherche du plaisir et de la jouissance sans culpabilité, même si c'est difficile par rapport au jugement de la société bien-pensante de l'île.

 Dans ce film, vous exercez le métier de marin pêcheur,  Comment la « terrienne » que vous êtes a-t-elle pris la mer ?

 C’est en effet l’un de mes rôles les plus âpres et les plus physiques, à mille lieues de la petite-bourgeoise dans son appartement parisien !

Je me suis préparée trois mois en pratiquant la course et la musculation. Pourtant, en remontant ces lourds casiers remplis de crustacées, je me suis blessé au dos, pincé les doigts, abîmé les mains…

Sur le bateau, si vous vous prenez les pieds dans le filet, vous êtes entraîné au fond de l’eau et c’est la mort assurée. Il a fallu apprendre les bons gestes auprès de la marine marchande, affronter les éléments déchaînés…

Les gens du coin nous ont accueillis à bras ouverts. Ce tournage a été une aventure humaine extraordinaire.

Vous aussi, vous êtes capable de tout plaquer pour un amour, une passion ?

Ah non, je suis quelqu'un de beaucoup plus raisonnable et normée, je suis bien plus docile qu'elle, qui est dans l'irrévérence et l'anticonformisme.

Et puis j'ai joué pas mal de filles saines et sympas jusque-là, et ça m'intéressait d'interpréter une femme un peu bourrue.

Oui c'est sur, à ce niveau là, malgré les élans du coeur auxquels elle va finir par succomber, votre Chiara garde tout le long du film un côté « brut de décoffrage » qu'on a pas trop l'habitude de voir chez vous …

Sa robustesse et son caractère rugueux sont nécessaires pour évoluer dans un environnement insulaire, viril, hostile.

Effectuer des tâches éprouvantes lui permet aussi d’être connectée à ses sensations.

Elle va immédiatement percevoir dans les yeux pétillants de son apprenti la possibilité d’une passion romanesque et c'est ce constraste entre ces deux poles qu'il était passionnant de jouer …

Toutes les scènes avec  Félix Lefebvre, votre jeune partenaire, ne semblent rien avoir d'embarrassant ?

On s'est retrouvé naturellement d'égal à égal, à 100% au service de nos personnages, de l'histoire et du metteur en scène, avec nos corps pour outils de travail.

Héloïse avait précisément écrit les scènes d'amour dans le scénario, on a pu se laisser aller sans devoir proposer des choses qui auraient pu créer une gêne en temps normal .

Quel est selon vous  le déclic qui l’autorise à vivre cette idylle torride avec un garçon qui pourrait être son fils ?

J’imagine que l’interdit est moins fort car elle n’a pas d’enfant. Sans cette responsabilité, vos actes n’ont pas le même impact ; les conséquences de vos choix sont moins graves.

En tant que mère, j’ai conscience de ne plus être seule maîtresse de ma destinée… 

De toute façon, il m’est inconcevable de faire souffrir les autres ! 

Ce rôle est assez représentatif de l'évolution des mentalités et des rôles de femmes au cinéma, dans la lignée de mee too, vous ne trouvez pas?

Tout à fait! Et à vrai dire si je réfléchis un peu à la question, je n'en reviens pas ! Je suis en train de vivre une révolution dans l'image représentative de la femme au cinéma, pile poil quand j'approche de la cinquantaine.

Dix ans plus tôt, je n'aurais pas pu surfer sur cette révolution intellectuelle.

J'encourage aussi cela, notamment ce choix pour un premier film, c'est ma signature à ce mouvement-là.

Dernière question, plus générale, Quel regard  Cécile, portez-vous sur votre carrière après avoir commencé il y a presque trente ans ici chez nous à Lyon (Cécile de France a été élève à la prestigieuse ENSATT dans les années 90)  ?

Trente ans après mes débuts, mon enthousiasme est intact. Je continue de choisir consciencieusement mes rôles et de m’offrir totalement.

Avec le recul, chaque long métrage apparaît comme une perle enfilée sur un collier, dont je savoure les couleurs, les messages véhiculés.

Rencontrer le public, sentir que je touche les spectateurs, reste la plus merveilleuse des récompenses. Je n’ai pas de peur, pas d’angoisse, je suis quelque part assez comblée!

Si je me penche sur ma carrière je dirais qu'elle est à la fois logique et naturelle, au regard de la passion que j'ai investie dans mes rôles. Mais je me considère aussi privilégiée, car j'ai bien conscience que beaucoup d'actrices que j'admirais ne sont plus visibles aujourd'hui.

Je deviens également plus exigeante, mes goûts personnels s'expriment davantage et je refuse beaucoup de choses.

Cécile, entourée des deux comédiens masculins du film Grégoire Monsaingeon et Félix Lefèbvre.

Crédit  :Fabrice SCHIFF 

ITW réalisée le 14 novembre 2022

Merci à Vanessa d'UGC cinéma Lyon et Bac FILMS