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1 juillet 2024

L'heure du spill the tea avec Mathis Grosos, journaliste culturel et auteur du podcast "Dramathis"

Le (rare) soleil nous attend à la terrasse d’un café. La rencontre était prévue depuis longtemps, elle s’est faite rattrapée par un poids. Celui d’une actualité pesante, angoissante qui finit par nous atteindre tous.tes. Le monde de la culture n’y échappera pas : déjà éludée des politiques publiques ou effleurée, la culture est une non-priorité, résumée à l’investissement dans la création pour la gauche et à celui dans le patrimoine pour la droite. Mais le danger, c’est ce qu’a la culture comme force pour changer les narratifs ; Et ça, l’extrême-droite et leurs alliés l’ont bien compris : mieux ronger les budgets pour atteindre les compagnies/artistes et limiter la création (un parcours déjà entamé avec les annonces de mai dernier), pour lisser les récits, restreindre l’ouverture aux publics (par le coût et les sujets) et faire accepter l’inacceptable… Une ligne aussi développée par le journaliste culturel Mathis Grosos, auteur du podcast « Dramathis » pour les passionné.e.s de théâtre. Pour parler du milieu de la culture et ses réalités, il est nécessaire parfois de se questionner sur ceux.celles qui y contribuent, notamment les journalistes culturels qui pointent ou alimentent les fautes. Pour que la culture et le théâtre ne soit le moins possible un acquis vidé de dynamiques politiques…

 

D’où vient ta passion pour le théâtre ? Ça a été une évidence ou ça s’est construit au fur et à mesure ?

Je n'ai pas grandi du tout dans un environnement où le théâtre était une pratique culturelle quotidienne ou en tout cas régulière, c'est vraiment le lycée… Je suis un enfant de la démocratisation, c'est-à-dire les sorties au lycée avec la prof de français, où tout le monde râle, tout le monde traîne des pieds et en fait, j'ai eu des coups de cœur comme ça. Je faisais de la musique dans la petite ville où j'étais et en fait, ça m'a amenée vers la comédie musicale, qui m'a amené vers le théâtre. En termes de pratiques, ça s'est passé plus ou moins à la même époque, c'est-à-dire première/terminale, et c'est vraiment là où il y a eu une espèce d'évidence, c'est vraiment un endroit qui me plaît, qui me ressemble. J'ai deux mises en scène qui m'ont marqué à ce moment-là: Vanishing Point de Marc Lainé, où il y avait une voiture sur scène. Je savais pas que c'est possible ! Je me disais ; « c'est incroyable d'avoir une voiture sur scène ! Ça va être super rare et pas du tout idée que c'était vraiment tous les dimanches qu’on voyait ça (rires) ! De l’autre côté, David Bobée avec Lucrèce Borgia interprétée par Béatrice Dalle : pareil, il y avait de l'eau sur le plateau, 'ai trouvé ça fascinant. Je me dis: mais comment ils ont fait pour pas que ça ne fuit pas ? Donc, voilà deux choses qui m'ont vraiment marqué. À partir de là, j'ai commencé à y aller beaucoup plus, et même tout seul, après mes études supérieures.

 

Peux-tu nous parler de ton parcours ?

 

J'ai grandi en Basse-Normandie, j'ai fait une filière littéraire. Ensuite, je suis parti, comme beaucoup de bons élèves, vers une prépa. Je ne savais pas trop vers quoi me diriger. Je savais que j'avais pas trop envie de choisir, puisque j’aimais pas mal de choses différentes. J'aimais bien les langues, mais j'aimais bien aussi la philosophie, puis la socio(logie), la littérature et l’histoire. C’était une prépa très axée sociologie à Rouen. Après Rouen, j'ai été pris au concours de Sciences Po Lyon où j’y suis allée pendant trois ans, dont deux à Lyon et un à Londres (dans le cadre d'une année erasmus) puis je suis partie un petit peu en courant au moment du master parce que l'école n'était pas totalement en phase avec ce que je cherchais. Le master était à la Sorbonne Nouvelle en journalisme culturel. J'avais envie de faire un virage plus vers la culture et, surtout, d'avoir beaucoup plus de pratique, de stages parce que je considère que le meilleur moyen pour apprendre, c'est quand même de faire les choses. Ce qui m'a permis de passer par Général Pop, puis France Inter, puis Binge Audio, Madmoizelle, où j'ai fait mon apprentissage et j’y suis resté en CDI pendant un peu moins d'un an.

 

Justement, tu penses que ce sont tes expériences ou le master qui t’ont le plus appris ?

 

Ça dépend ; sur le plan de la pratique, indéniablement, ce sont les stages qui m'ont appris à me perfectionner sur du montage, sur des techniques d'interviews, etc.

Au-delà de ça, ce sont mes expériences personnelles : j'avais commencé un podcast au moment où je suis parti à Londres parce que, à ce moment-là, je faisais de l'éloquence, mais de gauche (Je précise rires) ! Ça me manquait un petit peu de faire des trucs type chronique et donc le fait de m'enregistrer, ça m'a donné un prétexte pour le faire, mais du coup ça m'a appris à monter. J'ai dû faire des génériques moi-même et j'ai dû très vite, en fait tout seul, me former là-dedans dans ce podcast qui s'appelait « L’Anachronique ». Il est devenu un podcast sur mes galères de jeune journaliste. J'ai supprimé tous les épisodes d'avant ornements, comme si ça n'a jamais existé. L’objectif était de documenter mon approche du métier ; j'ai rencontré comme ça des gens, ce qui m'a permis de networker avec des gens qui étaient pigistes et qui me parlait justement de leurs droits. Et en même temps, de me renseigner sur le métier tout en apprenant à le faire. Ça a été des trucs très formateurs que j'ai fait vraiment tout seul, et je suis très content de l'avoir fait ! Ce qui s'est passé avec « Dramatis » aussi.

 

Finalement, je suis vraiment parti dans ce podcast un peu tête baissée mais je n'avais aucun contact. Mon premier épisode porte sur un spectacle pour lequel j'ai payé. Vu le spectacle, je me suis dit: ah, il y a des choses intéressantes à dire. Après les attachés de presse était en mode qui est ce type ? L'épisode est sorti. Ils se sont dits « il a contacté personne ». Il y a beaucoup de choses comme ça, où je fais par moi-même, j'apprends après.

 

Là où les études m'ont appris beaucoup de choses, c'est plutôt côté sociologie. J'ai quand même eu un gros amour pour le monde universitaire, à tel point que je me suis demandé si je ferais pas de la recherche. Je lis régulièrement de la sociologie pour le plaisir, parce que je suis bizarre. (rires) Je trouve ça assez passionnant et c'est vrai que c'est quelque chose qui reste aujourd'hui et je pense que Dramathis ne serait pas ce qu'il est si je n'avais pas eu la rencontre avec les cultural studies en master. Ça a vachement changé ma vision de la culture et cassé ce truc un peu vertical que je pouvais avoir, notamment du fait d'être passé par des écoles dites élitistes.

 

Est-ce que critique et journalistes, c’est la même chose selon toi ?

 

C'est des choses qui se recoupent. Tous les critiques ne sont pas journalistes. Les journalistes ne sont pas critiques. J'ai du mal à penser pour ma part, quelqu'un qui serait critique dans un média sans par ailleurs faire du journalisme culturel?

C'est d'ailleurs la problématique qui s'est présentée à moi avec Dramatis, lors de ma saison 2, j'ai commencé un format plus enquête/reportage, qui s’appelle « L'heure du thé ». Pour moi, faire que de la critique, c'est s'intéresser qu'au résultat. Je trouve que c'est intéressant, dans le théâtre, de regarder aussi la question de la réception, donc regarder ce qu'il se passe dans la salle… Regarder aussi les questions de production, parce que ce n’est pas la même chose de critiquer une pièce qui a coûté un million d'euros qu'une pièce qui en a coûté dix mille… Ce n'est pas non plus la même chose de regarder une pièce qui s'exprime dans le cadre d'un régime démocratique et une autre qui s'exprime dans un régime fasciste. Évidemment, il y a des enjeux de pouvoir qui ne peuvent pas complètement être éludé mais qui ne peuvent pas être traiter en tant que simple spectateur.

 

La dimension journalistique est très importante dans ma vision de la critique. En même temps des critiques universitaires font vraiment de l'analyse et qui amènent des choses intéressantes qu'on pourrait pas amener en tant que journaliste. Normal, on n’a pas les mêmes formations ! Et il y a plein de journalistes qui ne font pas de critique rien parce qu'ils ne parlent pas forcément de culture. Dans ceux qui parlent de la culture, on est très content d'avoir aussi des reportages sur le MeToo du théâtre, des choses comme ça.

 

Et comment te définirais-tu ?

 

Je me définis comme fatigué, principalement (rires). J'ai plusieurs casquettes : d’abord, la casquette de journaliste pigiste, casquette qui m'a permis de travailler chez Madmoizelle, France Inter, mais de faire aussi des piges pour différents médias, Télérama, Milk magazine, Têtu, Komitid (avec qui j’ai bossé que très ponctuellement). J’ai une collaboration plus régulière avec l'Oeil d’Olivier, pour qui je fais des critiques, en tant que journaliste pigiste et reporter. Je considère que le travail que je fais sur Dramatis est un travail journalistique, de qualité, ça reste à voir, mais en tout cas, c'est un travail journalistique pour moi. La deuxième casquette que j'ai, un peu accidentelle, celle de créateur de contenu : quand je suis parti de chez Mademoizelle, il y a un an, il y a un théâtre des Célestins de Lyon qui m'a contacté et qui m'a dit: est-ce que ça tenterait de faire un petit focus sur notre programmation de la saison prochaine ? J’ai accepté, ne sachant pas du tout comment ça allait marcher, en leur disant: très vite, il va falloir que je mette des limites déontologiques très claires à cette activité, pour pas que ce soit la promo et que, derrière, je fasse de la critique comme si de rien n'était.

 

Ma politique est assez claire là-dessus : si je parle d'un spectacle, je suis rémunéré pour le faire, je peux pas faire de critiques dessus parce que je ne peux pas vendre mon avis.

Ce que je vends aux théâtres, c'est des focus sur des choses, pourquoi tel élément peut être intéressant, pourquoi ça peut être intéressant de voir tel spectacle, à tel point qu’il y a beaucoup de vidéos que je fais sur des spectacles que j'ai pas encore vu et qui me semble intéressant, parce que l'idée de la vidéo, c'est détailler ces raisons-là. Voilà les deux casquettes principales et une troisième casquette pro sur laquelle je communique pas forcément, c'est faire du montage pour une influenceuse, ce qui me permet d'avoir une source de revenus un peu stable.

 

Utiliser la création de contenus pour documenter ton travail sur Dramathis, est-ce que aussi, c'est pour toi une manière aussi de renouveler un peu la critique, au-delà des règles déontologiques que tu te fixes ?

 

Encore une fois, la création de contenu n'était vraiment pas prévue à la base et ça a été vraiment vu comme une façon de financer mon média. En fait, c'est quelque chose que je n'ai pas du tout inventé. Dans le sens où les médias font du publi-rédactionnel depuis des décennies ; chez Mademoizelle, ça faisait partie de nos rentrées d'argent. En fait, c'était travailler concrètement avec des marques et de faire des choses qui ressemblaient à des articles journalistiques mais qui n'en étaient pas. Et l'idée, c'est juste d'être parfaitement clair là-dessus, le signaler systématiquement. Légalement, j'y suis obligé.

 

Là où la création de contenu est intéressante, c'est que les théâtres me laissent beaucoup de liberté, et le fait de facturer une vidéo plutôt que de la faire gratuitement, moi, ça me permet tout simplement d'y consacrer du temps, que ce soit du temps dans le montage, la recherche. Je pense notamment à la vidéo que j'ai fait que le théâtre de l'Odéon, récemment, sur « Les paravents » de Jean Genet qui a été repris par Arthur Nauzyciel. Je leur ai vendu très vite, j’avais très envie de faire une vidéo dessus parce que ce spectacle historiquement est fou, le fait que l'Odéon globalement été mis à feu et à sang parce que la pièce évoquait la Guerre d'Algérie, c'était très proche encore quand elle est sortie en 1966. Du coup, les fachos ont essayé par tous les moyens d'arrêter la représentation, jetaient des choses sur scène ; Les comédiens et comédiennes ont reçu des petits cercueils, ont reçu de la crotte par la poste, des choses hardcores ! Le fait de pouvoir travailler que ce théâtre m'a donné le cadre pour pouvoir tranquillement faire mes recherches : j'étais justement dans les archives de l'Odéon pour pouvoir discuter avec des personnes qui avaient des documents donc, c'est vrai que la création de contenu là-dessus, moi je ne la vois pas ça comme simplement de la promo bête et méchante pour financer mon média, je vois ça comme un contenu qui doit être intéressant, de toute façon pour les gens. Je ne suis pas en train de vendre un aspirateur Dyson en disant: c'est formidable.

 

Ça peut être complémentaire du le reste du travail que tu fais exactement…

 

Exactement ! J'écris mes créations de contenu à peu près comme j'écris mes critiques en termes de ton. Simplement, je ne donne pas mon avis, mais je ne fais pas une grosse différence dans la façon dont j'écris… D'ailleurs, la plupart des théâtres me laissent en fait très libre sur les choses. Leur position institutionnelle va être forcément être de calmer certaines choses et des trucs où ils sont pas surs d’assumer une vanne que je lui propose. Mais ça reste quand même très raccord avec ce que je fais ! Des fois, des gens font une confusion entre ce que je fais encore en création de contenu et en vidéo éditoriale. J'essaye d'être très clair dans la description, mais mon problème, c'est qu’ils restent dix secondes sur une vidéo.

 

Tu pratiques sur différents formats, quel est le plus dur/complexe entre la critique « classique » et la création de contenu qui rejoint ton podcast ?

 

Non, en vrai, je suis extrêmement reconnaissant à Olivier, mon employeur, qui a donc le média de l'Oeil d'Olivier, de m'avoir en fait accordé cette plateforme et cette confiance, parce que, moi, je tiens à rappeler régulièrement que je suis journaliste et je tiens à rappeler que je suis capable d'écrire parce que j'ai beaucoup de l'écrit quand même de base. Donc, je suis très content de continuer à faire du podcast. Là où le podcast est très compliqué, c'est que, en fait, il y a des étapes et il y a plein de choses à faire. L'écriture, qui devrait suffire pour une critique pour l'Oeil d'olivier, est la première étape seulement d'un podcast que, derrière, je vais devoir enregistrer, incarner avec le plus d'emphase possible (des fois je suis au bout au de ma vie) Après, il faut le monter, il faut le mettre en musique, il faut éditer tout ça, tous les épisodes, mettre toutes les notes en description, il faut communiquer dessus, etc.

 

Une critique, vraiment, je l'écris. C'est aussi parce que c'est pas mon média, donc c'est plus facile. Si je bossais dans une entreprise et que ces tâches étaient un peu plus fragmentées, évidemment, ce serait plus simple. Mais là, à l'heure où je te parle, évidemment « Dramatis », c'est vraiment quelque chose que je fais tout seul. Donc, de ce point de vue-là, c'est plus compliqué.

 

Sur le ton, il y a aussi des trucs que je me prends un petit peu moins la tête. Il y a un cadre plus souple aussi, parce que c'est le cas, tout simplement, que j'ai défini moi-même. Pour l'Oeil d'olivier, évidemment, je me questionne un petit peu plus sur certaines choses, sur la façon dont je vais formuler. Je fais quelque chose finalement beaucoup plus en accord avec ce qui se fait comme critique. Je pense que personne ne dirait que je révolutionne la critique sur l’Oeil d'Olivier. Pas du tout !

 

 

D’où est venu l’idée de créer Dramathis ?

Le nom, c'est un surnom que m'ont donné mes collègues avec qui je m'entendais très, très bien chez Mademoizelle parce que je suis une personne drama, je suis sagittaire ascendant vierge, donc voilà ça crée des moments. J’avais vraiment besoin de parler théâtre, parce que j'en voyais beaucoup et que je n'avais personne avec qui le partager.

En fait, j'avais un podcast dans lequel je m’exprimais, qui s’appelle « Laisse-moi Kiffer » avec des recommandations culturelles. J’ai essayé de varier vachement les références pour montrer aux gens que je que je pouvais parler plein de choses, de musique, de cinéma, de politique, de théâtre, de performance parce qu'il y a plein de choses qui, fondamentalement, m'intéressent, mais c'est vrai que le théâtre revenait quand même souvent et je me dis merde j'en ai déjà parlé la semaine dernière. Je ne peux avoir qu'un seul kiff par semaine, par épisode, et je commence à être très frustré parce que moi, je voyais vraiment plein de choses qui me plaisaient ou en tout cas, sur lesquels j'avais envie de m'exprimer.

 

Ma rédactrice en cheffe Mymy Haegel m'a dit, en vrai, si tu veux faire un truc, prends un micro, trois câbles et let's go, tu fais un épisode pilote et on voit. Mais en fait, ça a été vachement poussé parce que des projets, etc. À droite, à gauche, qui sont passés en priorité. Ça a fini par sortir en novembre 2022, sous une forme qui, en fait, a beaucoup évolué depuis, qui était donc la saison une de « Dramatis » portée par Mademoizelle qui m'a fait une confiance aveugle là-dessus, ce qui me fait très plaisir.

 

Après tu l’as produit toi quand tu es parti de Madmoizelle ?

 

Absolument, ça fait partie des choses que j'ai négocié avec mon départ. C'est partir avec mon podcast, pour lequel j'avais de moins en moins de temps parce que, évidemment, ce n'était pas la priorité d'un média généraliste de parler de quelque chose d'aussi niche que le théâtre. Parce qu’il y a cet enjeu d’ouvrir au plus grand nombre mais je ne suis pas naïf, je sais que ça va se faire par étapes et que ça va prendre beaucoup de temps. Donc, c'est vrai que c'était un temps sur lequel Mademoizelle qui, comme tous les médias web, avait des gros enjeux financiers. Évidemment, c'était un temps qu’ils ne pouvaient pas se permettre de prendre, en tout cas de moins en moins. Ça a été aussi une des raisons de mon départ et je suis parti avec ce podcast. Mais ça s'est fait plutôt intelligemment dans le sens où, vraiment, on m'a laissé très libre par rapport à tout ça et ma saison a pu être republiée sur un nouveau flux, pour que j'ai tout au même endroit, sachant qu’eux ont gardé toujours les épisodes de la saison en ligne sur leur flux.

 

Comme tu l’as entamé avec la Saison 2 de « Dramathis » et l’heure du thé qui est une analyse plus sociologique, c’est un moyen de repolitiser aussi un sujet qui a été longtemps dépolitisé comme la culture ?

 

Ouais grave ! Plus je voyais des pièces, plus discuter avec des gens du milieu, plus je commençais à faire ma place dans le milieu. J'ai commencé le podcast en novembre et on était rendu au mois de juin quand j'ai sorti ma saison 2, ce qui est vraiment une très mauvaise date pour un lancement, mais j'ai été invité à Avignon. Je suis parti en indépendant, donc ça faisait sens dans ma trajectoire personnelle. Mais c'est vrai qu'à ce moment-là, j'avais beaucoup plus d'idées des enjeux qui traversaient le théâtre que quand j'ai commencé, en tant que simple spectateur, en en novembre 2022. J'ai essayé au maximum et j'essaye encore de les vendre à des grands médias ou même à des médias plus spécialisés. Pour l'instant, ça ne fonctionne pas, ça n'intéresse pas les gens. C'est un peu dommage, je trouve, parce que pour moi, c'est des vraies grandes questions. Quand je fais une vidéo sur l'importance des trigger warning au théâtre, je suis très étonné que ça n'intéresse pas les rédac. Alors, ça a été traité au Royaume-Uni, aux Etats-Unis. C'est trop niche pour les uns, C'est pas de la critique donc ça n'intéresse pas les autres…

 

Du coup, voilà, je me suis dit: bah, cet espace, je vais me le créer moi-même, puisque personne ne veut concéder Les gens me disent souvent voir « c'est fou que t’ai fondé ton truc, etc. » Si on m'avait laissé cette plateforme ailleurs, je n'aurais jamais eu à la créer. En fait, c'est juste qu’on est dans une économie des médias qui est précaire, qui a du mal à laisser sa place aux jeunes, et encore plus les jeunes qui n'ont pas fait d'école reconnue de journalisme. Je ne suis pas là pour pleurer sur mon sort ou quoi. C'est juste que moi, j'essaye de me retourner derrière et me dire: bon bah, comment on fait en sorte que ça arrive malgré tout. C’est arrivé grâce à « Dramathis »

 

Je voulais aborder une actualité (qui a été dépassé par une autre plus récemment), celle des coupures budgétaires annoncées en avril-mai dernier qui concerne le théâtre public directement. A quel point est-il en danger aujourd’hui ?

 

Là où le théâtre public est en danger aujourd'hui, c'est qu'il y a un modèle à deux vitesses qui est en train de se creuser. Un peu comme un miroir à ce qu'il se passe dans la société, c'est-à-dire que voilà les productions les plus « fastueuses » : c'est des gens qui sont installés, c'est des gens qui ont des institutions et qui, malgré ça, ont commencé à se rendre compte qu'ils peuvent plus tenir leur train de vie et qui tirent la sonnette d'alarme. D'un autre côté, on a des compagnies de plus en plus précarisées qui, en fait, n'arrivent même pas à rentrer dans ces réseaux, parce qu'en fait on a du mal à couvrir toute la création qui se fait, surtout de la diffuser. On a un vrai enjeu là-dessus. Il y a la question des petites compagnies, à qui on demande de plus en plus aussi de faire de l'action culturelle en parallèle, qui sont des choses pour lesquelles ils n’ont pas été formés. Il y a une crise à tous les étages, c'est-à-dire que les écoles ne répondent plus forcément toujours à ces enjeux. Il y a beaucoup de gens qui ne sont pas formés dans leurs écoles sur les questions de l'intermittence, sur la question de comment on crée sa propre compagnie, sur la question de comment on va faire un bon travail de médiation avec les scolaires, parce que ce n'est pas ce pour quoi on a été formé de base. De ce point de vue-là, il y a énormément de choses qui ne vont pas dans le théâtre public et qui dépendent de la subvention et même au-delà, de la formation….

 

Au-delà de la subvention, il y a beaucoup de choses qu'il va falloir revoir, à commencer par ce truc des créateur.rices qui bénéficient en fait de grosses plateformes en étant à la tête d'institutions et en profitent pour créer trois spectacles ou quatre spectacles de leur propre chef, comme ça dans leur saison, parce que je trouve assez difficile à entendre alors on a vraiment du mal à partager les outils de création, parce que ça reste du public. Donc, le principe du public, c'est qu'on prête. Qu'on prête, non pas prêtre, ça c'est privé (rires)

 

Ça fait écho à tes derniers épisodes de Dramathis, le dernier quand tu expliques pourquoi tu ne vas pas dans le théâtre privé et aussi celui sur le théâtre est-il hors-sol? Dans lequel tu parles beaucoup de l’accompagnement des publics…

 

C'est une question, une question que je me posais, comme souvent un peu naïvement, en début et en fait, au moment où j'essaie de répondre, je me dis: merde, en fait, ça va me prendre un mois de recherche. C'est aussi pour ça que l'épisode du mois dernier était plus light, c'est que j'avais moins de temps pour le faire. Mais quand il y a des épisodes où je fais un grand truc choral, où plein de gens interviennent, parce que je sens que tout seul, en fait, j'ai pas les réponses à ces questions-là, ça prend énormément de temps, mais c'est vrai que c'est vraiment un truc qui s'est dessiné au fur et à mesure de mon travail sur les théâtres sont-ils complètement hors-sol?, c'est le fait d'être déconnecté de la réalité, d'avoir des grands projets poétiques et politiques. C'est un privilège que peu de gens peuvent s'octroyer aujourd'hui, dans le milieu du théâtre en fait, parce que beaucoup de gens sont forcés de se ramener à la réalité et quand on le fait, on se retrouve face à une classe de lycéens qui en a pas grand-chose à foutre de votre projet, mais en fait, vous êtes obligés de le faire parce qu'il y a des financements de tutelle qui dépendent de ça. Même chose quand vous vous retrouvez à faire de la compta, quand vous vous trouvez à tracter dans la rue par 42 degrés à Avignon, quand vous vous retrouvez à mettre la clé sous la porte, on ne va pas vous tirer de salaire pendant deux mois. Le métier est ancré dans la réalité ! Faut pas oublier que les comédiens, contrairement à l'image que les gens ont parfois, oui, c'est un métier passion, oui, c'est une forme de privilège de pouvoir exercer ce genre de métier, mais ça reste un métier extrêmement précaire ! Et c'est pareil pour tous les métiers du spectacle aujourd'hui !

 

C'est là où on a vraiment une crise du métier, et puis, encore plus avec, on commence à avoir de plus en plus ouvertement l'intermittence, attaquer notamment Marion Maréchal qui a tweeté qu'elle supprimerait l'intermittence si elle était élue. Tout ce qu'on voit, c'est que ça a commencé de plus en plus facile d'attaquer ça, parce que je pense qu'on n'arrive pas non plus, en tant que théâtre, à convaincre le grand public aussi de l'intérêt de de ce qu'on fait. C'est un vrai enjeu et c'est vraiment ce pour quoi je me bats et ce pour quoi je suis aussi dur avec les théâtreux.ses aussi. On a une vraie urgence à convaincre les gens. Non pas que les gens ont besoin de théâtre, mais les théâtres ont besoin de gens aussi !

 

La culture est un moyen de changer les narratifs pour certaines régions, on le voit avec la Hongrie de Viktor Orban qui a un budget pour la culture étonnamment élevée…

 

C'est un peu le problème du théâtre public : au-delà de la question des coupes, on peut donner des moyens et censurer derrière. On peut donner des moyens qui sont des moyens conditionnels. On laisse la création vraiment servir un narratif d'Etat. On le voit déjà en France, à l'échelle de certaines régions qui se permettent complètement de décider de ce qu'on peut dire, de ce qu'on ne peut pas dire, artistiquement parlant qui s'arrogent des privilèges qui sont complètement hors-sol, pour le coup, dans une démocratie. Je pense notamment à la région Auvergne-Rhône-Alpes, évidemment. Elle a même invoqué la. Voilà évidemment ce qui s'est passé avec le théâtre Nouvelle Génération de Joris Mathieu. Ça doit nous alarmer collectivement, mais on le voit aussi à l'échelle de certaines mairies, et c'est pour ça aussi que j'avais fait un épisode sur comment la droite détruit le théâtre public. C’est un épisode que j'ai sourcé au maximum parce que je voulais pas dire de bêtises, mais c'est vrai qu'il y a un enjeu très, très fort maintenant que la droite commence à saisir des questions culturelles.

 

En fait la droite s’en est longtemps battue les reins de ce qui se passait dans la culture, c'était trois saltimbanques, t'en qu’ils demandent pas trop d'argent, globalement, ça va. Et là, aujourd'hui, où il y a tous les discours anti gauchisme, wokisme, il y a un véritable enjeu pour eux à investir le terrain culturel. On le voit beaucoup à l'échelle du Rassemblement National qui qui sait qui peut convaincre dans les classes supérieures aussi, avec ce discours-là parce que, voilà, par rejet, en fait, les gens sont vraiment capables de voter pour ce parti, quand bien même dévoilent leurs intérêts économiques seraient pas servis quand même. Le théâtre commence à être beaucoup plus sur la sellette qu'il y a dix, quinze, vingt ans, c’est ça qui m’alarme beaucoup !

 

Du côté de la gauche, c’est un mode d’action politique aussi…

 

C'est déjà le cas, que ce soit délibéré ou pas. Fondamentalement, on peut le répéter à son galvanisé. Moi, je trouve ça toujours un peu facile de le dire, mais le théâtre est politique du point de vue où ça change les représentations sacrées des nouveaux narratifs. Après, là où je suis très en colère contre le monde du théâtre, c'est que, pour beaucoup de gens, on a l'impression que ça suffit, que c'est suffisant et que c'est une fin en soi. Je considère que créer une représentation, ça ne suffit pas changer les choses. Et toujours cette grande question: est-ce que le théâtre va changer le monde, etc. Je pense que le théâtre peut changer le monde de certaines personnes. Je pense aussi qu’aujourd'hui, les artistes sont très contents de faire des grands spectacles politiques pour eux, derrière, ne rien faire d'autre, et ça, je trouve ça dommage. Parce qu’on ne voit pas beaucoup de gens se mobiliser tant que ça, sur les réseaux sociaux, dans la rue. Moi, je rêverais de voir des cagnottes à la fin des spectacles, comme on a pu en voir parfois. J'ai vu très peu d'artistes parler de ce qui se passait à Gaza.

 

Je suis trop content qu'aujourd'hui on est sur scène des Laurène Marx, Rebecca Chaillon ou Eva Doumbia qui défendent en fait des choses très intelligentes et très intéressantes qui n'existaient pas en fait il y a encore une vingtaine d'années. Après, il faut aussi beaucoup se méfier de toutes les dynamiques de pinkwashing, de greenwashing auxquelles les théâtres n'échappent pas, surtout quand elle s'accompagne pas du tout d'actions concrètes alors qu'on a des institutions qui, concrètement, avait les moyens d'accueillir des tables rondes, auraient les moyens d'accueillir des AG, des comme ça, ce qui arrive encore, parce qu'ils arrivent déjà parfois. Mais combien de théâtre ont mis des banderoles contre l'arrivée du RN ? Combien de théâtres, comme la maison des métallos, font des mobilisations avec des migrants ? Je trouve ça super d'avoir des spectacles sur ces questions-là, et encore plus quand on donne la voix à des personnes concernées. Si derrière, on ne fait rien dans la réalité, est ce qu'on vaut vraiment mieux que cette réputation de donneur de leçons qu'on peut avoir à gauche ? Je ne suis pas certain…

 

Justement quand tu lui parlais tout à l'heure de Rebecca Chaillon, cela me faisait penser à la mobilisation autour des Paravents de Jean Genet, contre ce spectacle et cela fait écho à celle contre Carte Noir au IN d’Avignon 2023…

 

Et encore, à l'échelle de ce qui a pu se voir comme mobilisation, c’est resté très niche… N'empêche que ça n'enlève rien à la violence de ce qui a été fait, en fait, à la dimension complètement raciste, évidemment, et misogyne qui traverse tout ça Pour les comédiennes, ça a eu des conséquences très concrètes. Elles ont été obligées de la mettre en veilleuse, d'arrêter de s'exprimer et l'extrême droite en plus, s'est approprié très très vite. Je me souviens plus exactement de la chronologie des choses, mais c'est vrai que c'est un peu terrifiant de comment très vite, en fait, on se rend compte que très vulnérable en fait face à la violence de gens qui ne jouent avec les mêmes règles morales que nous en fait…
 

Quel regard portes-tu sur l’évolution du journalisme culturel ?

 

J'ai une position assez paradoxale sur l'évolution du journalisme aujourd'hui, c'est-à-dire que, évidemment, je suis assez acerbe d'un point de vue pigiste, puisque je passe mon temps à manifester auprès des rédactions. Je vois, les rédactions vieillissantes Je vois des gens qui sont en poste et qui ne veulent pas partir, même à la retraite. Je vois aussi beaucoup de gens qui font pas l'effort parfois sur des sujets parce que je suis membre de l'association des journalistes LGBT l’AJL, on le voit constamment que des rédactions n'ont aucun mal à mégenrer des personnes dans des articles, n'ont aucun mal à reproduire en fait des clichés biphobes, homophobes… De ce point de vue-là, je suis très en colère contre mon métier. Je suis aussi très en colère par le fait que beaucoup de journalistes et beaucoup de critiques n'ont pas l'air de penser à leur lectorat quand ils écrivent leurs articles, puisque- c’est déjà un reproche que j'adresse aux artistes- qui ne pensent pas toujours à leur public avec leur spectacle et qu'on simplement l'air content.es d'avoir une plateforme à exploiter pour simplement parler, ce que je trouve toujours assez étrange.

Parce qu'en fait, c'est parler à quelqu'un. Le théâtre comme la critique et le journalisme, c’est parler à quelqu’un.

 

En même temps, je vois aussi beaucoup de gens très talentueux.ses, beaucoup de gens s'exprimer sur plein de sujets qui sont très peu lus. Je vois beaucoup de pigistes qui galèrent, alors qu’iels sont super talentueux.ses, Je vois des gens qui sortent des livres qui ne se vendent pas alors que ça c'est d'intérêt public. Je vois aussi des gens qui sont des mémoires vivantes du théâtre mais il y a un vrai souci dans la médiation et je pense qu'il y a une vraie réflexion à avoir dans le milieu sur comment on fait, on s'adresse au public, et il y a des médias qui l'ont prise à bras-le-corps, cette réflexion, parce qu'elle passe aussi par les réseaux sociaux : la rédaction du Monde qui essaye vraiment de se renouveler avec ces formats. Le pari est gagnant, je crois qu'ils ont franchi millions d'abonnés récemment. La rédaction de Télérama essaye aussi d'aborder les réseaux sociaux.

Il y a eu une remise en question à faire du milieu de nos pratiques et une transparence aussi à avoir vis-à-vis de l'entre-soi. En fait, longtemps, c'est fait assez impunément. Et maintenant on est plus visibilisé.e.s, et des questions d'incarnation, qui s'ajoutent à ça, ben oui, forcément, il y a des gens qui ont la haine et qui ont l'impression qu'on a un petit milieu blanc et bourgeois, ce qui est en partie vrai !

 

On a un gros problème pour mettre en valeur nos compétences, les partager, pour ne pas avoir un regard surplombant. Et un dernier truc aussi, qui m'agace beaucoup et ça c'est très spécifique, au milieu de la critique : j'ai fait mon mémoire sur la médiatisation d'Edouard Louis à travers son deuxième livre. Justement, c'était un livre qui parlait à la fois de la question du viol, qui parlait de la question d'un rapport sexuel non consenti, en l'occurrence homosexuel avec en plus un personnage qui était un personnage racisé puisqu'il était nord-africain. Ce qui était intéressant, c'était voir comment les médias se plaçaient : en fait, il y a un truc que je retrouve beaucoup dans la critique que j'ai analysé au moment de ce mémoire et que je vois encore, beaucoup de puissent utiliser des références de classes populaires ou des références populaires tout court comme quelque chose qui délégitime une création. C'est quelque chose qu'on a beaucoup vu avec Thomas Jolly qui, bien avant de mettre en scène Starmania, s'était vu reprocher une esthétique à la Starmania dans ses spectacles, comme si c'était une mauvaise chose parce qu'on partait du principe que c'est évident pour tout le monde que c'est très mauvais goût.

Je trouve que c'est vraiment un truc qui persiste dans la critique qui en dit beaucoup plus sur les gens qui écrivent que sur ce qu’ils commentent. Clairement il y a un classisme, une discrimination dure à voir comme telle parce que on apprend très peu  du point de vue culturel, plutôt avec un levier très matériel, très économique.

 

Or Bourdieu dirait autre chose (rires)…

 

Or Bourdieu, Bernard Lahire, toutes les cultures studies diraient autre chose ! C'est aussi pour ça que mon podcast a investi vachement la sociologie, c'est qu'on a un rôle sur le levier culturel en tant que médiation, pas une médiation neutre depuis un spectacle vers le spectateur, en donnant vaguement peut-être notre avis. Non, en fait, on est un avis qui est situé socialement et il faut l’assumer ! C'est vraiment ce que je crois aussi de très politique avec la question de l'incarnation parce que, au-delà de signer ces critiques, quand on a un visage tout d'un coup, c'est très évident que je parle depuis une certaine position et d'ailleurs, les gens ne s'y trompent pas puisque dans les commentaires des fois, on va me dire des choses sur mon collier qui seraient en or (le collier que je porte actuellement, qui coûte cinq euros, mais passons). Ça montre en tout cas, c'est que les gens ne sont pas dupes là-dessus. On parle d'une certaine position et il y a que des journalistes, pour essayer de se convaincre, tout seul, qui essaient d'être objectif…

 

Cette question de la neutralité journaliste a longtemps permis d’éluder les réalités…

 

Il y a une question de légitimation. Aucun média pourrait dire aujourd'hui : nous avons sélectionné des membres de la classe bourgeoise à qui on concède plus de compétences qui n'en n'ont vraiment, parce qu'on considère qu'en fait, ils sont supérieurs intellectuellement comme ça, ils peuvent éclairer les masses. Personne ne peut dire ça. Par contre, on peut totalement dire: on a sélectionné le meilleur de la société avec des systèmes de concours des gens qui viennent de grandes écoles reconnues, ont été formés sur ces questions-là et qui peuvent après éclairer les gens. On a juste enlevé les mots qui dérangent. Dans les rédactions, on a pas beaucoup de gens comme ça qui vont à l'inverse de ce discours-là, et moi, le premier, moi, je suis vraiment de classe moyenne, je peux pas jeter la pierre non plus…

 

Quelles relations entretiens-tu avec les attachés de presse comme avec les acteurrices du milieu ?

 

Un truc dont je suis très content sur Dramatis, qui est pour moi un véritable tour de force, c'est la question de du lien à mon public, à mon lectorat, à mon auditoire parce qu'en fait, en faisant des contenus incarnés sur les réseaux sociaux, ça fait que les gens me suivent et ça fait surtout que les gens dialoguent avec moi, et autant les espaces commentaires sur les sites sont complètement mort. Autant là, les gens peuvent réagir assez facilement à ce que j'écris, à ce que je dis, et ça m'arrive très souvent de recevoir des pavés de gens qui me disent qu'ils ont pensé de l'épisode, qui parfois sont pas d'accord avec moi, ce qui fait partie d'une discussion que je trouve intéressante.

 

Ça va un peu dans le même sens de mobiliser les gens en amont d'un épisode en leur disant : les amis, j'ai besoin de votre avis. Par exemple, est-ce que vous trouvez que les théâtres sont complètement hors-sol ? J'ai demandé à plein de gens de me faire des vocaux et ça va être le cas sur le prochain épisode aussi, où j'ai mobilisé pas mal de monde déjà. En fait, j'ai pas la science infuse et il y a des témoignages que je ne peux pas inventer. C'est ma manière à moi aussi de dire aux gens: en fait, vous écoutez le podcast, mais ce podcast est aussi le vôtre, votre espace. Autant les critiques ne donnent jamais la parole à d'autres gens, autant là dans ce que j'essaie de faire, qui est un peu plus hybride, je pense que c'est intéressant d'intégrer en fait directement des expériences de gens du milieu, mais aussi, de simples spectateurs. Même si, bon, je suis un simple spectateur techniquement.

 

Quels sont tes prochains projets pour la suite ?

 

J'ai envie de développer davantage le côté vidéo. Idéalement, j'aimerais que mes podcasts soient des vidéos youtube. J'aimerais même qu'il puisse être diffusé sur Twitch, puis sur youtube, puis en tirer des des fragments pour en faire des extraits vidéo pour les réseaux sociaux. Ça demande énormément de temps, énormément de moyens.

Tourner un podcast et une vidéo, ce n'est pas la même chose en termes d'incarnation. Je lis énormément au moment où je tourne mon podcast. Il y a un côté un peu pas très visuel là-dedans. Il faut trouver des images pour documenter tout ça. Il y a des questions de droit. En fait, ça pose énormément de questions qui pourront la sont un peu en suspens. Une évolution de sûre pour la saison trois : c'est un changement de d'esthétique déjà, parce que je vais refaire un shooting prochainement pour changer un petit peu cette image qui correspond plus tellement à ce que j'avais envie d'impulser en podcast. Et surtout, faire des lives : je vais commencer à faire des lives dans le temps des théâtres, avec des discussions, des bord plateaux aussi, des temps d'échange avec les gens qui m'écoutent et aussi des gens qui ne me connaissent pas, avec à chaque fois, une thématique que je vais traiter, doc faire quelque chose qui est assez proche du travail que je peux faire en podcast, mais avec des gens.

 

La saison prochaine, on garde la même structure que cette saison, c'est-à-dire un épisode en trois parties qui sort chaque mois : un bilan critique de tout ce que j'ai vu dans le mois, l'heure du thé avec une grande question et troisième partie, la pièce rapportée où on vise des gens toujours plus connus. Après, j'ai aussi envie de varier les échelles et d'efforts, recevoir quelqu'un, quelque quatre mille abonnés juste parce que la personne me semble super intéressante. Mais voilà, j'ai vraiment envie de pouvoir décloisonner un peu le théâtre et surtout, décloisonner la critique pour que les gens s'en emparent.

 

On a vraiment besoin de beaucoup de critiques et d'avis critiques. C'est un truc qui me fait un peu peur parfois sur les réseaux sociaux. Ça sort un peu de la question, mais c'est le fait que beaucoup de gens, surtout sur des films. J'ai une réflexion sur la question des représentations notamment. En fait, des gens me disent « ah la la mais tu peux pas juste profiter ! Pourquoi tu dois toujours te poser trente-six mille questions comme ça». Je leur réponds : c'est mon travail, c'est vraiment mon métier. Et le fait qu'il y ait une incompréhension là-dessus, ça me met vachement en alerte. Ça me semble flippant que les gens puissent prendre les choses pour ce qu'elles sont, pour des allant de soi, ce qui est vraiment un truc que j'essaye de déconstruire au maximum. S'il n'y a rien à questionner a priori, une personne débarque complètement qui n’a jamais été au théâtre, pour elle, c'est pas normal que la scène ça s'arrête là. C'est trop bizarre ! En vrai, il y a plein de choses qu'on prend vraiment pour des acquis et qui n'ont aucun sens fondamentalement, et ça, je pense qu'il faut continuer à questionner tout le temps, et ça passe par la critique !

 

Quelles sont tes derniers coups de cœur ?

 

J'ai deux spectacles qui impliquent beaucoup de danse, je vais voir de plus en plus de danse. Un spectacle de Anne Teresa De Keersmaeker qui s'appelle Drumming XXL, il est passé à la MC93 et reprenait un travail déjà entamé avec Clinton Stringer un chorégraphe belge. Il y avait 62 danseurs et danseuses, notamment du Conservatoire de paris, de P.A.R.T.S. (l’école de la chorégraphe en Belgique) et des conservateurs de l'École des Sables au Sénégal. La puissance du groupe, le travail sur ces espèces de fulgurance, cette espèces d'individualités qui va exploser au milieu de moments beaucoup plus homogènes… Il y a des choses très belles qui se passe là-dedans. Il y a une très belle complicité qu'on voit sur scène aussi, et ça m'a bouleversé. J'ai éclaté en sanglots à la fin, j'ai pris ma meilleure amie dans mes bras et je n'arrivais pas à m'arrêter.

 

Quelques jours avant, j'avais vu un autre spectacle qui m'a beaucoup touché, sur lequel j'avais une création de contenu. Mais bon, j'en parle ici. C'est Le prix de l'or qui passe jusqu'au 20 juin, au Théâtre Ouvert. Ça raconte un metteur en scène roumain qui a grandi en en faisant des concours de danse sportive- la danse sportive étant assez proche de ce qu'on peut voir en patinage artistique- c'est-à-dire a été vraiment un milieu d'un grand gymnase. On voit de la danse de salon, foxtrot, de salsa ou cha-cha-cha, devant un jury et il explique qu'il a fait ça depuis l'âge de sept ans. Pour lui, c'était le moyen de rendre fier ses parents. En gros, il revient sur son histoire et, en même temps, il donne à voir comment fonctionnent ces concours et toutes les logiques de domination qui les traversent : la compétitivité qui est toxique as fuck, les rhétoriques grossophobes qui traversent le milieu, l'hétéronomie qui est à un niveau ahurissant, la question du classicisme qui commence à apparaître, parce qu'en fait ces concours-là impliquent de plus en plus d'argent, notamment sur les costumes. Beaucoup de choses fascinantes qui se jouent et portées de manière simple, ce qui fait qu’on a notre empathie très vite portée pour Eugen Jebeleanu. J’ai beaucoup pleuré aussi, mais je pleure assez facilement encore aujourd'hui.

 

Crédits photos : Jonathan Esparza / Capture d'écran Instagram

Interview réalisée le 14 juin 2024

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Dernière critique pour l'Oeil l'Olivier : « Tragédie », le studio 7 de l’École du Nord défie la gravité, 26 juin 2024

 

Jade SAUVANET

 

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