OFF Avignon / La Brûlure - Théâtre du Rempart : Quand les mots pansent l’incandescence de la douleur
La nuit commence à tomber sur les remparts avignonnais, accélérée par la pluie battante. Izia et Loup se dévoilent, leur complicité est à son paroxysme. Leurs regards montrent leurs accomplissements ensemble et ce que chacun s’est apporté. L’instant est suspendu à un écran, celui qui définira l’avenir de Loup. Il part pour un nouveau chapitre de sa vie, Izia se réjouit. Et pourtant les liens commencent à se distendre. Un jour, Loup les rompt, laissant celle qu’il a aimé sans réponse dans le brouillard de qui elle est sans lui. Pour redevenir soi, il faut revivre les moments à vie à deux, quitte à faire saigner le cœur pour évacuer. Le cœur est à la fois sérénité, tendresse, chagrin et colère créatrice. La rupture est désormais abordée pour ce qu’elle apporte et non plus pour ce qu’elle enlève grâce à la deuxième création de la Compagnie Naïades. Les mots sont tendres et déchirants portée par une mise en scène aérienne, ce n’est que prometteur pour la suite !
Rencontre avec Elsa Cavan, autrice de ces mots et metteuse en scène de La Brûlure
Pourrais-tu me présenter la compagnie des Naïades ?
La compagnie des Naïades, c'est Charlotte Cartoux et moi. On a cofondé la compagnie en 2021. On s'est rencontrés au conservatoire d'arrondissement du 16ème arrondissement de Francis Poulenc. C’est née de ça, de notre rencontre et de nos affinités, en termes de répertoire contemporain et sur la place des femmes est et on s'est beaucoup penchées sur des textes sur le silence, au sens même de notre formation. C'est en jouant ensemble qu'on a décidé après le conservatoire, de créer la compagnie ensemble. Au départ, on cherchait quelque chose un peu plus sur l'incandescence, l'incandescence, sur le feu qui rejoint, on va dire la brûlure. Mais au départ, on avait un autre spectacle aussi, ce qui a mené aussi à compagne naïades, un écho aux nymphes… De l'eau et quelque chose de très féminin, d'assez doux et calme… On a créé la compagnie Naïades avec ça, et avec un premier spectacle qui s'appelait Et si tout allait bien? Il porte sur le consentement à l'adolescence et c'était un spectacle, c'est toujours un spectacle, pour le moment sur pause qui engage huit comédiens/comédiennes sur scène dans la veine un peu à la Thelma et Louise. Ce sont des jeunes adolescentes à un lycée en bal de fin d'année du lycée qui se retrouve confronté à une agression sexuelle qui se passe lors de cette soirée, et à une d'entre elles du groupe se fait violer. Ça raconte comment elle arrive à s'en sortir, comment elle arrive à poser des mots là-dessus, parce que, voilà, il y en a qui sont témoins, et après il y a une d'entre elles qui tue. Elles ne savent pas qui dans une forme de road trip théâtrale. Voilà, c'est vraiment dans la veine de comment la parole, se libère.
Elle s’est jouée en 2023 ?
Oui, c'est un spectacle qu'on a joué il y a deux ans une première fois au festival le grand huit au théâtre Le Grand Point Virgule. Ensuite on a eu quatre dates l'année d'après, et puis c'est un spectacle qui voilà. C'était le premier bébé du de la compagnie. Et puis, chacun a vaqué aussi à ses projets. Du coup, on arrive à Avignon, avec, avec La Brûlure.
Justement d'où est venu ce projet de « La Brûlure » ?
La brûlure est tout simplement s'est inspiré de ma vie personnelle. J'ai été quitté très brutalement. Suite à ça, deux jours après, j'avais commencé un stage d'écriture avec Catherine Benhamou. J'arrive à ce stage d'écriture avec cet événement et je me disais « non, je peux pas écrire là-dessus… » En fait, les exercices m'ont amené à ça, sachant que c'était un stage d'écriture d'une semaine qui après se déployait sur plusieurs mois, avec, à la fin, une mise en espace et une mise en voix de nos textes avec le groupe. Il y avait un premier texte qui s'appelait tout un monde et ça a découlé de ça. C'était une évidence d'écrire là-dessus, et ensuite, avec Charlotte Cartoux, on a lu ensemble, j'ai tout mis en forme, et elle m'a soutenue, et elle m'a dit: elle, moi, j'ai envie de le défendre.
Elle a beaucoup aimé ce que j'avais écrit et en fait, c'est ensemble qu'on s'est dit on va monter ce spectacle ensemble, elle, comédienne, et moi, autrice et metteuse en scène.
Combien de temps a duré le processus de création ? C’est la première fois que vous présentez La Brûlure…
Ça s'est joué une seule fois avant, en sortie de résidence, au Pocket théâtre à Nogent-Sur-Marne fin mai. Là ça a pris deux ans : il y a eu une année vraiment d'écriture où, comme ça parle de rupture amoureuse, les premiers écrits étaient très à vif et dans le processus, il faut du temps comme on met du temps à se remettre d'une rupture amoureuse et d'une fin d'une histoire d'amour. Ensuite après, j'ai continué d'écrire, en fait, sur ce grand laps de temps. Et on a commencé la création au mois de décembre. Depuis, voilà, on a Joan qui nous a rejoint, le comédien. Ils sont deux au plateau.
Tu abordes la rupture sous un autre angle, ce qu'elle la porte plutôt, parce qu'elle l'enlève en fait, C’est une autre manière de voir par rapport à des récits d'amour romantique…
C'est totalement ça ! C'est en fait même le processus de mettre de poser des mots sur la douleur, sur ce qu'on ressent. On essaie de comprendre aussi pourquoi l'amour part. Cette pièce ne parle pas de violences conjugales ni morales, ça parle d'une violence silencieuse, comment on s'oublie au sein d'une relation. On est au final d'un côté comme d'un autre et en fait, il n'y a pas de méchant ni de gentil. Pourquoi l'amour s'en va ?
Et comment tu as construit la mise en scène, plutôt aérienne ?
J'ai l'aide de Daphné Lachouque en assistante à la mise en scène, elle m'a énormément aidé.
Moi, c'est vrai que je travaille beaucoup avec des images, dans ce côté très aérien, comme tu l'as senti. En fait, Daphné, elle m'a apporté aussi du concret et je pense qu'il y a besoin de concret, de réalisme, on va dire au sein même de la mise en scène, pour que liés, après une, une envolée. Puis le texte est poétique.
Déjà je pense que c'est important la distribution avant même la mise en scène : c'était sûr que c'était Charlotte qui allait jouer Izia ; ensuite on a fait passer des auditions et c'est Joan qui nous a rejoint dans cette histoire. On ne connaissait pas avant. Ça a été vraiment super parce qu'en fait, c'était vraiment la connexion que vous recherchez et, comme ils sont de hauts plateaux, pour moi, en tant que metteuse en scène, c'était hyper important que les deux soient vraiment connectés au présent, à l'écoute, qu’une complicité qui émane d'eux, et tous les deux, ils ont tous les deux une volonté de défendre le texte. On est partis d'improvisations longue, d’1h30 où on les, on les amène dans une situation de l’un doit quitter l’autre, comment il doit l’annoncer après avoir passé la nuit ensemble sans se parler… Après dans une seconde partie, on part de ça et on j’ai ajouté des idées de tableaux, de mise en espaces qu'on construit ensemble, qu'on voit qu'est-ce qui fonctionne, qu'est-ce qui fonctionne pas ?
Donc, la direction d'acteurs a comme un peu plus d'importance pour après, construire le reste…
C'est ça totalement, vraiment venir les aider à créer un imaginaire, d'où les improvisations longues. On est passés aussi par des trainings parce que je travaille beaucoup en musique,
ils s'adressent le texte sur de la musique qui, parfois, n'a rien à voir avec le contexte, avec la situation et souvenirs décalés. L’idée est que la musicalité ne doit pas s’installer, qu’à chaque fois, ils se renouvellent… C'est hyper important que chaque soir ce soit différent. Chaque soir ils vont jouer différemment dans le sens où ils sont vraiment au présent, ils s'écoutent en termes de d'adresse de regard au public même avec la structure.
L'alchimie entre les deux, elle est apparue dès le début ou ça s'est construit ?
Elle est apparue dès le début, ça a été l'une des raisons pour laquelle j'ai pris Joan. Ça ne s'explique pas quand on fait passer des auditions. Il y a le talent, il y a l'investissement, il y a l'envie. Mais il y a aussi surtout la complicité, et oui, ça s'est extrêmement bien passé entre eux, c'était indéniable, même une évidence.
Dans la direction d'acteurs inscrivent, tu leur a demandé de mettre un de leurs expériences ? Parce que je sais que ça peut être un peu clivant de mettre trop de soi…
Oui, je leur ai dit oui, de partir aussi d’eux et dans le sens où c'est une histoire qui m'est personnelle, j'ai pas voulu entraver quoi que ce soit. Déjà, le texte est là et présent, et donc, en fait, dans le travail, moi, pour moi, c'était très important qu'il apporte aussi de, mais dans le sens où, en fait, on a travaillé par exemple sur les cinquante tirets de Rebecca Chaillon où on doit nommer 50 caractéristiques de son personnage : sa religion, ses cinq films préférés, ce qu’il aime manger. Ils l'ont fait pour eux, en tant que comédiens, pour apprendre à se connaître, et aussi pour leurs personnages. Ils ont vraiment eux-mêmes été créateurs de leurs personnages.
Qu’est-ce que cela apporte d'avoir la double casquette autrice et metteuse en scène ?
Oui, je pense dans le sens où, oui, mon regard est différent ou quand je les dirige. Évidemment, il y a toujours la casquette autrice qui est intéressante et importante, est à la fois des fois. Ce spectacle m'a appris aussi à parfois l'enlever cette casquette d'autrice et d'être beaucoup plus là pour eux en tant que metteuse en scène, et aussi le fait aussi d'avoir une assistante metteuse en scène, ça m'aide énormément. Comme c'est un spectacle aussi très poétique, reposant sur la langue et les mots, il était pour moi, essentiel d'être à la fois autrice et à la fois mise en scène quand je vais diriger.
J'ai les deux mondes !
Est-ce que l’intime est politique ?
Oui, il y a du politique dans le théâtre. C'est un geste. Ça part d'un intime, on se dit: il y a pas forcément de politique à proprement parler. Ça parle d'amour, d'une fin d'une histoire d'amour, mais ça parle surtout aussi de deux jeunes qui sont à des endroits où ça parle aussi beaucoup d'argent, sur la question de leur situation sociale. L’un a ses APL et l’autre est ouvreuse, elle travaille les soirs. Ce n'est pas dit forcément, mais c'est comment ils arrivent à joindre les deux bouts et pourtant, comment il arrive aussi à avoir du temps aussi pour développer leurs rêves. C'est politique aussi dans le sens, où ça parle des écoles nationales.
Cela peut être politique aussi parce que c’est une création d’une compagnie émergente avec derrière toute l’économie des compagnies à Avignon
Alors oui on est une compagnie émergente, avec Charlotte et moi on est donc les deux co-fondatrices. C'est nous qui nous nous occupons de toute l'administration. C'est vrai qu'en fait, il y a une part oui politique, dans le sens où on est engagé sur l'artistique, on est engagé même nous, dans nos vies, sur le féminisme et pleins de questions qui nous touchent qu’on ne peut pas traiter. Surtout en ce jour très particulier…
Sur le fait du coup de de porter cette histoire sur scène, qu’est-ce que ça t’a apporté ?
Ça m'a apporté beaucoup dans le sens où j'ai des acteurs très engagés qui sont derrière les mots. Ça, c'est, c'est du pain béni ! Il y a rien de plus beau, en tant qu’autrice, de voir des acteurs être vecteurs aussi, parce qu'après c'est le lien entre le rapport sale et public. Pour moi, c'est l'accomplissement pour Avignon, de ses premières dates qu'on vient d'effectuer. C'est là, ce lien entre scène, et entre la scène et la salle. Pour moi, voilà, c'est porteur d'une d'une très belle histoire et qui est à la fois universelle et intime. Et le plus important est toucher les gens. Je suis très, très fier d'eux. Chaque soir, ils se renouvellent avec des couches supplémentaires. C'est jamais la même musique !
Et en tant qu’autrice et metteuse en scène, cela pose la question de la visiblité des femmes metteuses en scène…
Ben, moi, je suis très jeune. En fait, je me suis forgée quand j'étais au lycée. Je vais partir de très loin, je vais raconter une petite histoire. Je viens du Limousin à Limoges et je viens d'un milieu campagnard et j'ai découvert les premiers textes. Pour moi, c'était Wajdi Mouawad, c'est. C'étaient des auteurs hommes, ce qui m'a permis aussi d'aller vers le théâtre. Mais en fait, une fois que je suis arrivée à la fac, à l'université Sorbonne Nouvelle Paris 3 et au conservatoire, j'ai découvert enfin des écritures féminines et aussi des metteuses en scène qui avaient les deux rôles également.
Ça a été pour moi des inspirations et des modèles et je me suis retrouvée aussi dans leurs textes de Caroline Guiela Nguyen sur l'humanité, de Chloé Dabert qui a mis en scène Girls and Boys que j’ai adoré sur le rapport scène-salle et les messages à transmettre. Au conservatoire, il y avait une part de moi qui avait envie de jouer des textes portés par des autrices. Quand il s'agissait de textes écrits par des hommes, j'avais envie de jouer des rôles de garçon. Je ne me reconnaissais pas dans le répertoire et dans les personnages féminins un peu datés. C'est ça qui m'a amenée aussi à écrire, pour plus de personnages féminins et de prôner une parole sur le silence qui existe.
Quels sont les projets pour la suite ?
Pour moi, La Brûlure, j'ai vraiment envie de l'emmener loin, très loin parce que j'ai une très, très bonne équipe notamment la création sonore de Leiv qui vient du domaine du rap et je trouve ça génial d'embarquer quelqu'un qui n'a jamais composé pour du théâtre et nous a apporté aussi un regain de jeunesse et d'énergie au sein même de cette pièce. Et si tout allait bien reste dans un coin de ma tête parce que, pour moi, c'est essentiel de parler du consentement à des âges du lycée et même du collège, je pense que je réécrirai avec moins de comédiens parce que c’est un fait, quand on dit huit comédiens au plateau, c'est énorme et compliqué en termes de subventions.
Crédits photos : Compagnie Les Naïades
La Brûlure
Écrit et mis en scène par Elsa Cavan / assistée de Daphné Lachouque
Interprété par Joan Brunet-Manquat, Charlotte Cartoux
Créateur·rice son : Leiv Levrai
22h30
Théâtre du Rempart
1h10
Jusqu’au 21 juillet 2024
Relâches les lundis
Jade SAUVANET