Littérature- COUP de ♥️ : Le refuge; Alain Beaulieu sur les traces de Philip Roth
" Je me suis redressé, puis j'ai titubé vers le corps, que j'ai éclairé de nouveau. Une tache de sang mouillait la veste au centre du dos. Ce type était mort, cela ne faisait aucun doute. J'avais tué un homme, moi, Antoine Béraud, mari attentionné, père de famille aimant et professeur d'université à la retraite. Maintenant étendu de tout son long, ma femme frappait le sol d'une main molle, et c'est à ce moment, je crois bien, que j'ai perdu toute conscience du temps et de l'espace, tombant dans une forme de gouffre intérieur que je ne saurais définir que comme l'absence de toute chose et de toute émotion, préfiguration du néant éternel qui nous attend après notre mort, vide intersidéral, trou noir où tout s'abolit.
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Je me suis assis sur le sol pour m'évader de moi-même, incapable d'encaisser le choc d'être devenu, en quelques secondes, un assassin. "
Oui, quelque chose en moi s'est rompu quand j'ai compris que mon mari venait de tuer un homme, comme si j'avais jusque-là vécu dans une version naïve de ma vie, facile à définir et à expliquer aux autres, que ce coup de feu venait d'abolir. Marie Broussilovski, femme de convictions aux valeurs humanistes bien ancrées dans son parcours de vie, devenait complice d'un meurtrier. Et déjà, j'avais la conviction que mon mari, aux apparences dures mais en réalité hypersensible, ne s'en remettrait pas. "