Les Graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof, prix spécial à Cannes 2024 : Du grand cinéma dans l'actu tragique d'un pays
Non on ne bégaie pas à Baz'art mais on a tellement aimé les graines du figuier sauvage ( et on a tellement mal communiqué entre rédacteurs) que deux articles élogieux sur le film paraissent d'un jour à l'autre. et comme on ne veut pas monter en épingle nos rédacteurs on vous livre la seconde chronique sur le film de Rassoulof qui marche bien depuis sa sortie la semaine passée en salles
Sana la fille cadette (Setareh Maleki), l'un des quatre personnage au centre de cette intrigue familiale géniale.
Au fond, le grand film de Mohammad Rasoulof Les graines du figuier sauvage est un drame familial patriarcal qui aurait pu avoir pour cadre n’importe laquelle de nos sociétés modèles occidentales.
On peut même penser à un drame bien français, Jusqu’à la garde (2017) de Xavier Legrand avec Léa Drucker et Denis Ménochet.
Et bien sûr, on peut évoquer Asghar Farhadi (Une Séparation, Ors d’Or 2011) cet autre grand cinéaste iranien.
Un grand film de cinéma
Si « Les Graines… » n’a obtenu « que » Le Prix Spécial, et non la Palme d’Or qui eut été mérité, c’est peut-être que le jugement du Jury a été pollué par le contexte politique du pays.
Un peu comme s’il avait fallu récompenser le courage plutôt que le génie, d’un cinéaste et de ses équipes qui ont tourné dans des conditions périlleuses.
On rappelle que Rasoulof a été condamné à huit ans de prison par le régime iranien pour « atteinte à la sécurité nationale ».
Il a pu fuir à temps pour venir présenter son film à Cannes en mai 2024.
Le film est au-delà de cela, c’est un grand film de cinéma, avec des plans d’une incroyable beauté, un suspens poignant, une mise en scène géniale, et un côté thriller : « S’il est vrai que les contraintes rencontrées par un artiste développent ses capacités à créer, alors j’ai été particulièrement gâté », plaisanta Rasoulof à Cannes sur France-Inter.
Un père aimant
Dans l’Iran de 2022, au sein d’une famille tranquille vivant confortablement dans la capitale, le père de famille, Iman, est promu enquêteur au sein du tribunal révolutionnaire de Téhéran.
Dans le même temps, les émeutes éclatent à la suite de la mort de la jeune fille Jina Mahsa Amini, frappée par des policiers parce qu’elle portait mal son voile.
Iman découvre alors les cas de conscience en signant des actes d’exécution imposés par le pouvoir, sans même qu’il ait le temps de lire le dossier des accusés.
Iman (Missagh Zareh) est un père de famille aimant avec son épouse Najmeh (Soheila Golestani) et ses deux filles, Rezvan l’ainée (Mahsa Rostami), et Sana la fille cadette (Setareh Maleki).
Chaque personnage est vu dans sa complexité et son humanité, ce qui rend l’intrigue encore plus déchirante au fil des 168 minutes du film.
Des plans géniaux
Iman aime sa famille mais ne se départit pas de son obéissance viscérale au système théocratique, et de son ancrage conscient ou non dans le patriarcat.
Le portait de Najmeh, tout en subtilité, oscille avec une immense mansuétude de la part de Rasoulof, entre celui de la femme musulmane soumise et aimante, et la mère courage qui va peu à peu se révéler, grâce à ses filles.
Deux plans témoignent de la mise en scène subtile du cinéaste et de son goût de la beauté : le plan clair-obscur de la mère angoissée qui attend dans le noir le retour de sa fille aînée, et le plan de l’épouse qui coupe les cheveux et soigne la barbe de son époux avec amour.
Fiction bouleversante
Le film est émaillé très opportunément d’images filmées au téléphone pendant les émeutes du mouvement « Femme-Vie-Liberté », qui permettent de faire entrer les évènements violents de la répression au cœur de cette famille ordinaire à laquelle la classe moyenne occidentale peut tout à fait s’identifier.
Les ados se chamaillent et passent leur temps sur leur téléphone, la mère de famille est débordée, le père rentre du boulot exténué...
La fiction bouleversante de Mohammad Rasoulof prend ancrage dans l’actualité d’un pays plongé dans l’obscurantisme par son régime totalitaire, mais ce n'est pas le sujet du film. A voir d'urgence.