Elsa Benett, réalisatrice du film Des jours meilleurs: " l'alcoolisme des femmes reste un sujet très tabou!"
Rencontre avec la Réalisatrice Elsa Bennett, pour le film DES JOURS MEILLEURS co réalisé avec Hippolyte Dard.
Conversation à l’occasion des Rencontres du Sud d’Avignon.
Elsa Bennett : Hippolyte ( DARD, co réalisateur ) et moi on était touchés de très près par le sujet sur le plan familial, donc on voulait en parler. On savait aussi qu’il n’avait jamais vraiment été abordé de manière spécifique sur les femmes en tout cas au cinéma : ce sujet reste encore très tabou, sensible. C’était important d’essayer de libérer un peu la parole des femmes.
Des jours meilleurs est une chronique souvent drole malgré la dureté du sujet. En quoi garder une pointe d’esprit de comédie était indispensable au récit ?
EB : C’était une ligne de crête pas évidente à tenir lors de la co-écriture avec Louis-
Julien Petit. Mais j’avais toujours en tête de ne surtout pas trahir la parole et le vécu
de ces femmes.
Il ne fallait ni les blesser, ni tourner en dérision le sujet. En revanche,
il était essentiel que ce film soit porteur d’espoir et pour y arriver, certaines scènes de
comédie se sont naturellement insérées dans la narration afin de donner de l’oxygène
au récit
Quels ont été les apports des personnes que vous avez rencontré pour faire le film?
Il ya plusieurs rencontres qui ont jalonné le film
Je pense à celle avec des addictologues, des médecins, des femmes dans les centres, avec ces comédiennes-là en particulier…
Ça a été la fabrication d’une histoire personnelle pour chacun des rôles, pour qu’elles puissent se raccrocher à une histoire personnelle.
Au départ, ces personnages secondaires étaient beaucoup moins développés dans le scénario mais il y a eu des rencontres avec des femmes en particulier. J’en ai castées beaucoup, retenues celles qui sont dans le film…
Elles ont apporté des choses absolument extraordinaires : une humanité incroyable, de l’humour, de la tendresse, de l’émotion…
Lors de ces rencontres avec ces femmes, j’ai surtout saisi la dimension de la maladie alcoolique qui avait pris le dessus sur leur volonté de s’en sortir. C’est un long travail pour chacune d’entre elles de saisir la complexité du système de l’addiction.
Quelles en sont les causes et comment s’en sortir. Cette immense solitude, il fallait la rompre en la racontant, en la filmant.
Parce qu’on sacralise encore beaucoup les femmes — et encore plus les mères, évidemment. On n’a pas envie de voir ça. C’est pour cela que c’est très peu abordé, dans les séries ou les films.
C’est compliqué de voir une femme qui boit. On ne parle pas d’alcoolisme mais de femmes en souffrance et on a juste besoin de changer le prisme : il faut considérer que c’est une maladie, que ces femmes ont besoin d’être aidées, leur prendre une main. On ne peut plus être dans le jugement aujourd’hui, mais dans la bienveillance, dans l’humanité : elles ont toutes besoin qu’on les écoute, qu’on les entende.
EB : Je l’espère ! En tout cas j’espère qu’il sera perçu comme ça. Même dans la fabrication du film, ça a été très long de le faire financer, il a fallu vraiment s’accrocher, y croire : au départ personne ne voulait y aller. Après #MeToo, il y a eu une sorte de nécessité : notre partenaire Wild Bunch a tout de suite cru dans dans le film ; il a été une vraie force de frappe dans l’accompagnement du projet. C’est eux qui ont déclenché la possibilité qu’il existe, et aussi une productrice, Vanessa Djian, qui a porté le film à bout de bras pendant six ans.
Il y a une phrase dans le film qui résume le mystère du combat contre l'addiction : « L’addiction, ce n'est pas une question de volonté… » En quoi était-elle indispensable
au film ?
EB : L’alcoolisme et la dépendance ne sont effectivement pas que des questions de
volonté. À un certain stade, la problématique se situe à un endroit physiologique et
chimique dans le corps. L’alcool se met à fabriquer une dopamine de synthèse que le
corps ne fabrique plus lui-même. Lors du sevrage, le corps est privé de cette dopamine
qui est comme une « hormone du bonheur », d’où les épisodes dépressifs quasiment
incontournables suite à l’arrêt de l’alcool.
C'est plus fort que soi, les dépendants ne peuvent pas lutter seuls, ils ont besoin d’être sédatés pour affronter cette épreuve. Et s’il y a un épisode de rechute, cela résulte souvent sur une situation plus critique, parce que le corps fait payer « une addition » après un épisode d’abstinence. 80 % des femmes qui sortent des centres, rechutent.
C’était important de montrer ces mouvements de très hauts et de très bas, dans la trajectoire du combat contre l'addiction.
AUX RENCONTRES DU SUD en AVIGNON du 17 au 21 mars 2025.
Des jours meilleurs en salles depuis le 23 avril (distribution Wild Bunch, production Vanessa Djian).
Retrouvez notre critique du film ci dessous