Des heures souterraines, ou le harcelement moral vu par le roman français
Parce ce qu'elle y a passé des nuits entières, parce qu'elle y est revenue des centaines de fois, elle est capable aujourd'hui de nommer ce qui lui arrive.Elle est capable d'en identifier les différentes étapes, le début et l'aboutissement.
Mais c'est trop tard.
Il veut sa peau."
Chaque jour, Mathilde prend la ligne 9, puis la ligne 1, puis le RER D jusqu’au Vert-de-Maisons. Chaque jour, elle effectue les mêmes gestes, emprunte les mêmes couloirs de correspondance, monte dans les mêmes trains. Chaque jour, elle pointe, à la même heure, dans une entreprise où on ne l’attend plus. Car depuis quelques mois, sans que rien n’ait été dit, sans raison objective, Mathilde n’a plus rien à faire. Alors, elle laisse couler les heures. Ces heures dont elle ne parle pas, qu’elle cache à ses amis, à sa famille, ces heures dont elle a honte.
Souvent dans ce blog, je témoigne de ma déception par rapport à des livres ou des films qui ont connu un très fort succès critique et public. Heureusement parfois, ces a priori positifs n'entravent en rien le plaisir que je reçois devant une oeuvre.
C'est le cas ici avec les heures souteraines qui avait été sélectionné parmi les finalistes du prix Goncourt 2009 et qui avait connu un immense succès de vente.
Delphine de vigan (dont j'avais moins aimé les autres romans) use ici d'une force et d'une précision absolue pour décrire ce processus très progressif de mise à l’écart professionnel au sein d’une entreprise, cet acharnement, ce qu’on nomme parfois trop facilement harcèlement mais qui prend ici tout son sens.
On sent de tout son poids l’écrasement que cette femme peut subir, cette fatigue énorme qui la paralyse, cette honte qui l’empêche d’en parler à ses proches, ce sentiment d’être coupable alors que c’est elle la victime. J’ai revécu de même ce sentiment d’oppression que l'on ressent aussi parfois dans le métro, tant le style est juste et trouve le rythme et les mots adéquats.