Quelles préférences culturelles pour nos candidats? (1ère partie)
A cinq jours du premier tour des élections présidentielles, il est temps que je sorte de ma bulle dorée et que je m'y interesse quand même un peu, mais tout en restant sur la voie que je me suis tracé, celle de la culture.
Il faut dire que mercredi dernier, à quelques heures d'intervalle, deux déclarations des deux plus importants candidats à l'élection présidentielle m'ont mis la puce à l'oreille : alors que François Hollande répondait à des questions des lecteurs du Parisien qui voulait-notamment- tout savoir de ses goûts culturels, Nicolas Sarkozy a indiqué qu'il souhaiterait participer entre les deux tours de l'élection présidentielle à une émission télévisée dédiée à la Culture. Mais, dans l'esprit de notre cher président sortant, une émission dédiée à la Culture n'est pas forcément l'occasion pour les candidats de détailler leur programme en matière culturelle (il n'y aurait pas de quoi en faire une émission, vu la vacuité de leurs propositions dans ce domaine), mais plutôt d'interroger les candidats sur leurs goûts culturels (littéraires, musicaux, filmographiques).
En épousant cette idée, Sarkozy donne corps à la théorie selon laquelle les goûts culturels des candidats constitueraient une donnée essentielle pour les électeurs qui pourraient se décider dans l'isoloir en fonction du film ou du livre préféré des différents protagonistes.
Je ne suis quand même pas bien convaincu par la pertinence du concept : sincèrement, est-ce que beaucoup de français vont voter pour un candidat qui partagerait les mêmes affinités en matière de cinoche ou de musique? C'est donner peu de crédit aux convictions politiques des français, non?
D'autant plus qu'on doute quand même un peu de la sincérité d'une bonne partie de ces préférences déclarés: comme par hasard, tous les candidats (sauf Marine Le Pen, après la sortie de son père descendant ce film de façon assez abjecte) disent aimer Intouchables. Vu que 19 millions de spectacteurs ont vu le film, il y a de fortes chances que, parmi eux, se trouvent plusieurs éventuels dizaines de milliers d'électeurs susceptibles de voter pour ce candidat aux goûts si proches de ceux des français.
Mais maintenant que l'on a dit cela, vers quoi exactement penchent les préférences culturelles de nos hommes politiques? Voici un petit panorama des penchants culturels des candidats, et, pour aujourd'hui, je resterais sur les deux candidats favoris des sondages, Nicolas Sarkozy et François Hollande, en détaillant leurs penchants affichés en matière de cinéma, musique, et littérature :
1. Nicolas Sarkozy : de Dreyer à Barbelivien...
Si on jette un oeil sur sa page Facebook, on s'aperçoit que Sarkozy a récemment indiqué dans ses films préférés: The Artist, Intouchables et Des Hommes et des dieux. Si les deux premiers n'ont rien d'étonnant, vu leurs triomphes respectifs, le dernier choix est plus mystérieux : et d'une, le film a déjà plus de deux ans, et de deux, vu comment il se termine, pas sûr que le (toujours actuel) chef de l'état ait envie que ce dénouement soit prémonitoire en ce qui le concerne.
En fait, pour ce qui est du cinéma, comme un peu pour tout chez Nico, le problème est qu'on ne voit pas une grande constance, ses goûts semblant varier d'un mois sur l'autre, au gré de ses humeurs, ou de la part de l'électorat qu'il reste à conquérir. Après sa longue période pré- président pendant laquelle il ne jurait que par les comédies populaires, si possible avec son ami Christian Clavier dans le rôle principal, Sarkozy, sous la pression manifeste de Carla, qui a visiblement servi de maitre à penser, est entré dans une phase de cinéphilie très poussée, en regardant le soir en projection privée des chefs d'oeuvre incontestés du 7ème art, ce qui l'aurait conduit à vénérer des réalisateurs aussi exigeants et pointus que Carl Theodor Dreyer (voir photo), qu'il a notamment défendu lors d'une émission de Denisot devant les regards ahuris de ses interlocuteurs, sans oublier Pier Paolo Pasolini, ou des cinéastes à peine plus accessibles Visconti, Rossellini ou Bergman.
D'ailleurs, lorsqu'Allociné a demandé à Nico de faire un top 5 de ses films préférés, dont le résultat est paru hier, celui ci a décliné l'incitation , pretextant qu'il" n’y a pas un cinéma, mais une multitude de cinémas, incomparables entre eux". Une fois cette belle pensée (à laquelle je n'adhère pas, j'adore les classements en tous genres), il a tout de même cité La Passion de Jeanne d'Arc de Dreyer, L'Atalante de Vigo et New York-Miami de Capra, , Rome ville ouverte de Rossellini, ou encore Bellissima de Visconti, donc pour l'instant, on est toujours dans la période très élitiste. Il serait interessant de lui reposer la question dans quelques années, en fonction de l'évolution de sa carrière. Si Sarkozy abandonne la politique pour devenir avocat comme il en a lancé l'idée (en voilà une idée qu'elle est bonne), peut- être que Les Visiteurs reviendront tout en haut de son panthéon personnel....
Quant à la musique, si évidemment Carla reste son interprète préféré, dont il ne se lasse jamais d'écouter les magnifiques ritournelles, nous n'avons pas d'information concernant un éventuel virage qu'il aurait pu prendre aussi spectaculairement que pour le 7ème art. Non, jusqu'aux dernières nouvelles, Nicolas S ne se serait pas mis à écouter du Miles Davis, du Dominique A ou du Antony and the Johnson; Barbelivien, Calogero et Johnny Halyday tiendraient toujours la corde....D'ailleurs, moi qui aime la variété française (enfin pas Barbelivien quand même, faut pas déconner), je m'interroge forcément : et si c'était plutôt de droite, ça, de défendre la spécificité de la chanson française, et de se passionner pour les textes avant les mélodies? En même temps, ce n'est pas forcément pour les textes de Didier- à toutes les filles- Barbelivien qu'on l'aime...euh, c'est pourquoi du reste?
Enfin, interessons nous aux livres lus par le candidat UMP. On se rappelle tous évidemment de sa diatribe anti Princesse de Clèves, donc on sait déjà qu'il voue aux gémonies Madame la Fayette. Quant aux auteurs qu'il apprécie tout particulièrement, là encore, un rapide ( j'allais pas non plus y passer des heures ) survol de sa page Facebook permet de voir que Sarkozy a choisi Les Braises de Sandor Marai, best-seller paru en 2003, certainement en lien avec ses propres origines hongroises, Limonov d’Emmanuel Carrère et encore HHh de Laurent Binet, prix Goncourt du premier roman en 2010. Il est à noter que ces deux derniers écrivains n'ont jamais caché leurs sympathie pour....François Hollande, ce qui démontre donc, soit le masochisme de notre président sortant, soit sa grande ouverture d'esprit...
2. François Hollande : Beaupain, Sisyphe et Ozon
Si une des conseillères PS les plus connues, et écrivain à ses heures perdues, Aurélie Filippetti affirme que François Hollande lit beaucoup et qui a des goûts, qui le portent plus vers l'histoire ou les essais Mais il va au cinéma aussi, au spectacle., les goûts du candidat du PS restaient assez mystérieux. du moins
Du moins avant cette fameuse interview donnée aux lecteurs du Parisien, Il faut dire qu'il fallait déjà qu'il détaille ses 60 engagements pour la France, donc savoir s'il aimait Joe Dassin ou François Truffaut n'était pas forcément lapriorité des priorités.
Depuis, grâce à une question d'un lecteur qui a osé poser tout haut la question que tout le monde pensait tout bas, on sait que François aime beaucoup Voulzy, Souchon et, c'est plus surprenant, un artiste que j'adore et dont j'ai souvent parlé sur ce blog, Alex Beaupain.
Bon, Souchon, Voulzy, on les écoutait surtout dans les années 80, c'est à dire quand Hollande commençait à peine sa carière politique, donc lorsqu'il avait sans doute plus de temps libre, tandis que Beaupain est un artiste des années 2010. Pourquoi un tel saut de 30 ans dans le temps, François?
J'ai ma petite théorie la dessus:je doute fortement, en effet, qu'Hollande n'écoute en boucle les 5 CD composés par le musicien fétiche de Christophe Honoré. Je pense par contre que son état major l'ait alerté sur le fait que, dans son dernier album, Beaupain a écrit "Au départ", une magnifique chanson de 4 minutes dans laquelle il trace, avec un talent incroyable, un parallèle entre l'histoire de la gauche en France de 1981 à nos jours, et celle d'un couple. Forcément, pour le chef de la gauche actuelle, quoi de plus in que de citer cet artiste contemporain qui parle de la gauche dans ses oeuvres?
Quoiqu'il en soit, pour en revenir à mon interrogation ci dessous ( aimer la chanson française est il plutôt l'apanage de la droite?) , là encore, le candidat ne cite aucun chanteur anglo-saxon, me voilà donc un peu rassuré...
Niveau littérature, c'est lors de son passage au dernier Salon du livre que François Hollande a eu droit à la traditionnelle question du livre préféré. Le candidat socialiste a d’abord commencé à répondre Les Misérables, classique parmi les classique, Puis, il a cité Albert Camus, “le mythe de Sisyphe”. N'étant pas un féru de mythologie ( je sais, c'est pas terrible), je me suis renseigné et j'ai vu que Sisyphe, fils d’Eole et d’Enarété, etait connu comme le fondateur mythique de Corinthe. Pour avoir défié les dieux, il est condamné à faire rouler éternellement un rocher jusqu’en haut d’une colline dont il redescend chaque fois avant même d’avoir atteint le sommet. But qu’il n’atteindra jamais. Si François Hollande voit dans cet acharnement une métaphore de "la persévérance, de l'engagement, de la volonté humaine, et la ténacité" pour "arriver au plus haut", j'ai surtout retenu que Sisyphe, n'a jamais, au bout du compte, réussi à le remonter, ce satané rocher. Pas sûr que l'exemple soit bien choisi, à moins que pour François, le résultat compte moins que les moyens :o)
Et sinon, pour finir avec les goûts culturels du favori des sondages, c'est toujours dans cette interview donnée au Parisien (une mine d'or, je vous dis) que l'on sait que François Hollande va très peu au cinéma, vu son emploi du temps ( mauvais point, Eva Joly, elle y va une fois par semaine avec un agenda- presque- aussi chargé) , mais qu'il a quand même eu le temps de voir « Intouchables », qui est "un bon film" (ça, c'est de l'analyse cinématographique de qualité, François) , ou « l’Exercice de l’Etat », un "film juste sur le fonctionnement que je connais de l’intérieur, sur cette lâcheté, parfois, de ne pas assumer ses convictions" (c'est déjà un peu plus riche comme analyse). Bon, rien de bien audacieux et de surprenant dans ses choix, contrairement à son concurrent. En même temps, peut-être est ce plus sincère aussi?
Par contre, dans cette interview, Hollande nous assure que s'il est élu (comment cela, si...quelqu'un en doute encore?), il refusera de voir les films dans cette salle privée de l'Elysée ,car "Une séance au cinéma, c’est un moment de réunion, d’échange. Et j’aime partager. Donc j’irai au cinéma comme je continuerai à me rendre au théâtre. Ça voudrait dire quoi de convoquer une troupe"? Le président dans une salle de ciné de Paris, tout seul sans que cela fasse une émeute??....Je demande à voir, cela, François...
Quant au top 5 Cinéma cher au site Allociné, F.H, contrairement à son ennemi intime, a bien voulu se préter au jeu, et de citer Sous le sable (très bon choix), Spartacus( un péplum, ca le fait bien pour une campagne), Ma nuit chez Maud, Baisers volés et Les Cheyennes.
Un palmarès très eclectique et assez surprenant (aucun vrai chef d'oeuvre reconnu unaniment comme un monument du 7ème art, à part peut- être le Truffaut), et encore une fois, on ne sait si cette liste résulte d'un vrai choix personnel ou a été dicté par un quelconque conseiller de la cellule communication.
Car là se pose la vraie question concernant les gouts culturels des candidats à une élection présidentielle: doit-on afficher des penchants plutôt populaires, pour montrer qu'on est proche du peuple, et donc à l'écoute des problèmes des français, ou au contraire doit-on montrer des versants plus intellectuels, pour prouver qu'on a une hauteur de vue, une vraie capacité de recul inhérente à toute décision politique digne de ce nom? Visiblement, les candidats en question n'ont pas vraiment réussi à résoudre cette problématique, que Barack Obama, grand lettré, et doté d'une connaissance musicale à la fois parfaitement respectacle et acessible au plus grand nombre avait bien mieux tranché.
Evidemment, je n'ai pas fait le tour de la sphére culturelle chez les 10 candidats, il m'en reste encore 8 autres à survoler...Pour ne pas que le CSA ou l'équivalent de l'institution sur la blogosphère me tombe dessus, je ferais donc une seconde partie avant la fin de la semaine, mais un peu plus courte, sinon vous en avez pour des heures à me lire, et moi à l'écrire, ce fichu billet.
Mais admettez quand même que savoir quel film aime par dessus tout Nathalie Arthaud ou quel est le livre de chevet de Nicolas Dupont Aignan, vous en piaffez déjà toutes et tous déjà d'impatience, pas vrai?