Gaspard Proust est-il si génial qu'on le dit?
Pratiquement totalement inconnu il y a un an, Gaspard Proust est sans doute l'humoriste qui a le plus crevé l'écran durant cette année 2011. Enfin, quand je dis crever l'écran, je ne pense pas forcément à l'écran de télévision, car Proust est rarement invité dans les émissions télévisées; son humour passant bien mal à des heures de grande écoute. D'ailleurs, il paraitrait que Gaspard Proust a une sainte horreur des choses figées, des enregistrements (pas de captation des spectacles, pas de DVD) et voue également un vrai mépris à l'égard d'Internet (peu de chances quon lui tweete ce billet du coup :o).
La seule période où l'on a vu sa trombine à la télévision, c'était pour promouvoir le film dans lequel il jouait, le fameux l'amour dure 3 ans réalisé par une personne qui lui ressemble énormément sur plein de domaines (et même un peu physiquement), Frédéric Beigbeder ( vous savez le nouvel ami de Kassovitz).
Non, si, récemment on tant parlé que cela de Gaspard Proust, c'est avant tout grâce aux autres médias, radio et presse écrite, avec notamment une Couverture de Télérama qui n'hésitait pas à voir en lui le successeur affirmé de Pierre Desproges, dont le rire français est orphelin depuis sa mort en 1986. Si j'étais trop jeune pour pouvoir voir Desproges sur scène, je me souviens parfaitement que mon père m'avait "imposé" de voir l'intégrale de ses spectacles en DVD, pour enfin que je voie ce que c'était un vrai humoriste digne de ce nom, moi qui ne jurais que par Laurent Violet (au fait,que devient-il, celui là?) ou Pierre Palmade (idem :o).
Comme on dit que la société actuelle est plus restrictive qu'il y a 20 ans, est ce que l'humour de Gaspard Proust est aussi transgressif que celui de son illustre prédécesseur? C'est ce que j'ai voulu aller vérifier sur place en l'allant l'applaudir (ou pas) à Lyon dans la salle de la Bourse du Travail où il s'est produit la semaine passée.
Ce qui est évident dès les premiers instants de ce spectacle, où Proust fait son apparition parmi les spectacteurs de façon antispectaculaire au possible ( ligne qu'il tiendra tout au long de la soirée, on est carrément dans le contraire d'un show à l'américaine :o), c'est que l'artiste possède sa horde de fans, prêt à hurler de rire avant même qu'il n'ouvre la bouche. Le public vient plutôt d'un milieu aisé, cultivé, et il ne sera pas épargné par les attaques de l'humoriste. Car c'est une des marques de fabrique de Gaspard Proust : plus le public en prend plein la gueule, plus il en redemande.
Car il faut dire que l'auteur le fait avec un talent assez éblouissant, et surtout une qualité d'écriture effectivement peu commune qui ne peut que séduire les littéraires et même les autres.
Pendant une heure vingt (pas une de plus, c'est d'ailleurs sans doute un peu trop court, mais au moins n'y a t'il pas de creux comme dans les one man show traditionnels), Proust nous livre une partition éblouissante de cynisme, de méchanceté, le tout assené avec un ton si monocorde, voire neurasthénique, à tel point, que, par rapport à lui, "Vincent Delerm apparait comme le roi de la fête" (c'est lui même qui le dit.
Mais ce ton que Desproges possédait également est le plus adapté pour faire passer les horreurs que Proust nous assènent, et ce qui est certain, c'est que tout le monde en prendra pour son grade tout du long de son spectacle : entre ces pauvres qui "ne pensent qu'à bouffer", les "seniors", contraction de le sénilité qui s'ignore, et les femmes trentenaires qui sont "bouchonnées" dès qu'elles veulent se poser, les amateurs de Barbara ou de Brassens dont "la voix est un glouglou continu qui fait un peu penser à un lavabo qui s'écoule"…, et même les lecteurs de Télérama ( il est certain d'en avoir pléthore dans la salle, vu la pub énorme faite par la revue)
Proust nous donne notamment un long cours sur le nazisme, forcément politiquement incorrect : «Il faut avoir le courage de reconnaître que le nazisme a commis des erreurs. Envahir la Pologne au lieu de la Suisse, c’est comme habiter en face de la banque centrale et braquer le kebab", ainsi qu'un discours de tolérance à sa façon sur les personnes handicapées:" Je me suis souvent déjà mis à la place d'un handicapé. Enfin, surtout à celle de parking." Et pour qui, à mon instar, apprécie ce rire grincant, celui qui détourne tous les bons sentiments et lieux communs et qui fait rire avec nos angoisses et tout ce que la société nous interdit, forcément, l'heure passée en compagnie de ce type de bien mauvaise (compagnie) est un réel plaisir.
Ceci étant dit, si je dois comparer avec un autre humoriste dont j'ai vu le spectacle récemment et qui lui aussi, aime balancer les pires vacheries et les pires horreurs pour faire pousser à la salle des Oooooooh d'indignation, j'avoue avoir préférer le spectacle de Stephane Guillon. J'ai en effet trouvé la mise en scène plus travaillée chez Guillon ( il n'y a pas de mal, tant chez Proust, c'est le minimum syndical) et où on sent quand même percer, sous les sarcasmes une humanité et une vraie sensibilité. Chez Proust, elle existe peut- être, mais que ce soit dans son spectacle ou dans ses interviews, il le cache si bien qu'on en doute quand même. Et désolé pour mon côté un peu candide, mais après plus d'une heure après avoir ri en ayant entendu les pires saloperies, j'aime bien être sûr que le type ne le pensait pas vraiment.