Avignon OFF 2017/Le quatrième mur: le déchirant roman de Sorj Chalendon fait une belle pièce- et aussi une chouette BD!!
Journaliste à Libération pendant plus de trente ans, désormais au Canard Enchainé, le journaliste écrivain Sorj Chalandon, lauréat du grand prix du roman de l’Académie française pour Retour à Killybegs, s'était attaqué en 2013 à la guerre du Libanavec Le quatrième mur , un roman paru chez Grasset.
Le 4ème mur, qui a reçu en 2013 le Goncourt des Lycéens, est un roman très apprécié par tous ceux qui l'ont lu, tant ce récit d’une troupe de théâtre qui cherche à monter Antigone imaginé de ses années de reporter de guerre dans le Beyrouth des années 80 est tout en émotion et en cruauté.
Dans les années 1980, Georges promet à Samuel de monter Antigone, la pièce de Jean Anouilh, à Beyrouth en pleine guerre civile. Une œuvre bouleversante, qui casse les clichés sur la guerre et les utopies.
Chalandon touche ici plus que jamais à l’intime et à l’universel, qui nous parle de fraternité et d'espoir tout en s'interrogeant sur la place de l'art dans la société.
L'écriture de Sorj Chalandon magnifie les relations entre les hommes, l'anodin de nos vies, la violence et l'horreur de la guerre. Son histoire est pleine d'humanité.
Un livre que j'ai pu récemment voir en adaptation en BD et au théâtre .. Si deux compagnies le jouent actuellement au OFF d'Avignon, j'ai pu voir la formidable version donnée par une compagnie lyonnaise.
1. BD : Corbeyran/ Horne ( Marabout)
« La guerre est folie. La paix doit l'être aussi. Tu vas monter Antigone à Beyrouth, Georges. »
1982. A la demande de son ami Sam, metteur en scène grec mourant, le narrateur prend le relais de son rêve : monter Antigone à Beyrouth, en plein cœur de la guerre, avec des acteurs de tous les camps. Obtenir une trêve de chacun, jouer une seule fois. Georges ne sait pas qu'il vient alors de vivre le début d'un long périple dont personne ne sortira indemne.
Monter Antigone d’Anouilh à Beyrouth en pleine guerre du Liban, en faisant jouer sur la ligne de démarcation un fils ou une fille de chaque camp : afin de tenir cette promesse pour le moins insensée, Georges part main tendue à la paix, avant que la guerre ne lui offre brutalement la sienne.
Un récit épuré qui montre parfaitement à quel point cette belle idée, de mettre le théâtre au service de la paix pour « Voler deux heures à la guerre en prélevant un cœur dans chaque camp » accouchera d'une tragédie bouleversante qui enterre les illusions de l’utopie sous les cendres de la guerre et de l'apocalypse.
Son adaptation en roman graphique par le scénariste Corbeyran et le dessinateur Horne est très réussie, et si la mise en images peut donner l'impression d'adoucir le propos violent et apre du roman de Chalendon, les choix graphiques ' noirs et blancs, traits de pinceaux) et narratifs de la BD mettent bien en avant le côté viscéral et toute en urgence de cette course contre la montre, convaincante aussi bien du point de vue du récit que graphiquement,un roman graphique superbement mis en scène.
2. Théâtre - OFF d'Avignon;Compagnie des Asphodèles
"Le Quatrième Mur" adapté du roman de Sorj Chalandon et mis en scène par Luca Franceschi au Théâtre des Carmes à 19h.
La Compagnie des Asphodèles, originaire de de Lyon adapte le roman d'un autre lyonnais d'origine Sorj Chalandon, quoi de plus logique, me diriez vous? Et tout aussi logique que les blogueurs lyonnais viennent également sur Avignon voir de quoi il en retourne.
Après le succès des « Irrévérencieux », la compagnie poursuit avec cette nouvelle création sa recherche d’une écriture scénique à la croisée de la Commedia dell’arte et des disciplines urbaines, avec un audacieux mais très réussi mélange de Commedia dell’arte, au Human beatbox et à la danse hip hop.
Un spectacle au confluent de plusieurs disciplines urbaines, le pari était assurément casse gueule mais force est de constater que la mayonnaise prend largement aux vision des 1h 15 de la pièce.
Et ce mélange des genres est d'autant plus à propos que la pièce elle même mélange avec brio la petite et le grande Histoire en soulignant l’impossible mise en œuvre d’une trêve poétique face à l’absurdité, la violence et la folie des hommes.
Sorj CHALANDON affirme dans le dossier de presse à quel point, lorsqu'il a assisté à la première représentation, il a été "ému aux larmes en voyant ses personnages prendre vie avec une telle fidélité à son roman" .
Une impression que l'on ne peut que comprendre car les simples spectateurs que nous sommes furent très émus par cette représentation à la fois respectueuse et audacieuse de ce texte qui met la création théatrale au firmament au service de la paix, et cherche à abolir symboliquement cette frontière de l’imaginaire.
Une pièce qui questionne de façon brillante et pertinente la place du théâtre en temps de guerre : une tragédie sublimée par la scène, comme un ultime espoir accordé à la vie ?
« Le quatrième mur, c’est une façade imaginaire, que les acteurs construisent en bord de scène pour renforcer l’illusion. Une muraille qui protège leur personnage. »
Les six comédiens sont particuilèrement impliqués et investis à leurs projet, afin de montrer au spectateur que l’art et le théâtre soient des leviers puissants pour révéler ce qu’il y a de bon dans les rapports humains.
Ce fameux quatrième mur peut être si habilement franchi lorsque le spectacle touche ainsi à l'intime et propose un texte aussi vibrant d'émotions pour le spectateur .
Bref, cette compagnie lyonnaise du Théâtre des Asphodèles fête cette année ses 25 ans de fort belle manière avec cette pièce à ne pas rater pour tous les festivaliers..
A noter sur sur Avignon, le quatrième mur est également le fruit d'un seul en scène de Julien Bleitrach que je n'ai pas vu au théatre des 3 soleils à 15h15 , ceux qui restent plus longtemps que moi dans la cité des Papes pourront comparer les deux versions qui ont l'air bien différentes.