"Au départ" : 1,2,3, poussez la porte du Théâtre de la Croisée des chemins !
Mesdames et Messieurs, il ne vous reste plus que deux dates pour aller voir Au départ au Théâtre de la Croisée des chemins, une pièce pétillante de malice, d'intelligence et de lucidité autour des thèmes de la grossesse et de la maternité...
À travers les récits de deux femmes sublimes, Judith (Cécile Martinet) et Emmanuelle (Yasmine Bargache) et sous le regard bienveillant d'un ballon de yoga, le texte de François Bégaudeau, Au début, prend corps et vie, se muant en rythmes, en danses, en mouvements éffrénés...
Il y a tout d'abord Judith, grande prématurée de sept mois née à 1,8 kg qui va voir son corps grandir et changer au rythme des réflexions d'une mère jalouse, pleine d'amertume, ne manquant pas une occasion de lui tomber dessus. Un enfant ? Non, elle n'en veut pas. Elle a bien trop peur que ce soit une fille. Le risque de "reproduire le schéma" serait bien trop grand, alors autant ne pas tenter le diable... Lorsque Judith finit par tomber enceinte, elle s'aperçoit qu'après six mois de grossesse, elle porte un enfant mort-né dans ses entrailles. Cette vie qui s'achève avant même de s'être éveillée au monde, serait-ce le résultat du rejet de la femme qui a peur d'être mère ? La peur tellement immense de mal faire ?
Il y a ensuite Emmanuelle, drôle de petite bonne femme un peu garçon manqué, semblant en colère contre le monde entier depuis qu'elle a appris la "merveilleuse nouvelle". Les hormones ? Non, plutôt la colère de la désillusion, la promesse trahie de ce que promettait la maternité. Car non, ce n'est pas si extraordinaire que ça, au contraire. Elle est loin d'être le paragon de la "mère épanouie" qui se révèle au cours de cette "période bénie". Mais qu'est-ce qui cloche chez elle ? C'est plutôt la frustration qui prend le pas sur le ravissement : son Jules ne la touche plus, n'ayant visiblement pas réalisé que dans "le package grossesse" étaient certes inclus "gros seins", mais aussi, à son grand dam, "gros cul et grosses cuisses." Elle pensait qu'elle vivrait cette période comme un miracle, une révélation, mais là, elle s'est fourrée le doigt dans l'oeil, au moins, dit-elle : ça me fait un doigt quelque part.
Les thèmes de la grossesse et de la maternité sont abordés de manière crue, frontale, radicale. Les deux femmes n'y vont pas par quatre chemins pour nous parler de "leur" grossesse, de "leur" maternité et nous ouvrent leur coeur et leur corps sans fioritures, sans peur de froisser, sans crainte de nous montrer le revers d'un tableau dont on ne voit souvent que le côté face. À l'image de la maïeutique, elles "accouchent" de leurs maux, de leurs douleurs, de leurs frustrations, de leurs déceptions, s'en libèrent, s'en débarassent. Adieu la culpabilité, bonjour le soulagement, la dédramatisation, le droit de ne pas être comblée, de ne pas se cacher derrière un prétendu accomplissement de soi.
Notre premier réflexe est souvent le rire. C'est ensuite que nous réalisons et digérons, la gorge nouée, toute la portée de ce qui vient d'être dit, mimé, dansé. La mise en scène de Jacques Grange nous permet de nous maintenir la tête hors de l'eau, pour ne pas nous noyer dans l'immensité et la profondeur de écits parfois douloureux. Des pauses musicales très variées - tantôt sur des rythmes orientaux, africains, et aussi sur l'air enfantin de "De bon matin, j'ai rencontré le train..." - viennent fendre la densité du texte, et constituent de véritables moments de respiration. Nous remontons à la surface avec l'envie d'en entendre plus, quoi qu'il nous en coûte.
Les éléments de décor sont peu nombreux et pourtant utilisés de mille ingénieuses façons : le ballon de yoga et les draps sont customisés à loisir, formant tantôt une large robe dissimulant un ventre bien rond ou un bébé dans ses langes.
La complicité entre les deux comédiennes est fascinante : elles ne cessent de se regarder, de sourire, sont parfaitement au diapason lorsqu'elles dansent, les mouvements de l'une répondant à ceux de l'autre. Leur expérience de mère les unit, les rapproche.
Féministe, légère, dramatique, cynique, drôle... Difficile de caractériser cette pièce avec un seul adjectif. Ce qui est sûr, ce qu'elle est à voir et que vous risqueriez de manquer quelque chose en ne poussant pas, les 2 et 3 novembre (soit après demain et jeudi donc plus un instant à perdre !) les portes du charmant petit Théâtre de la Croisée des Chemins...
Les mercredis 2 et 3 novembre à 21h30 au Théâtre de la Croisée des chemins, 43, rue Mathurin Régnier, 75 014 Paris.