Critique théâtre: MEMORIES OF SARJEVO + DANS LES RUINES D'ATHENES Le Birgit Ensemble
Génération Europe
Qu'on le veuille ou non, quand on a une trentaine d'années en 2018, on est un enfant de l'Europe. Trop jeunes pour s'en souvenir, cette génération est pourtant née avec et n'a jamais connu d'autre forme au continent. A l'heure des nation/régionalismes, la question sonne étrangement : vous sentez-vous européens ? L'évidence ne serait plus si certaine...
En 1993, douze pays signent pour le meilleur et pour le pire, dessinant ainsi pour nous, « européens », la suite de l'histoire. Mais à la croisée de tous ces particularismes qui font l'Europe se révèlent quelques zones d'ombres. C'est aux fondements de ce « grand projet », à la fois économique, politique et philosophique, que s'intéresse le collectif de théâtre du Birgit Ensemble depuis 2013, avec une tétralogie dont le dernier diptyque « Memories of Sarajevo » et «Dans les ruines d'Athènes » a été créé l'été dernier en Avignon.
Sarajevo et Athènes nous emmènent chacune aux origines historiques et symboliques de l'Europe : celle de Maastricht et celle d'Homère ; en passant par deux de ses plus graves crises. Autant de sources documentaires qui nourrissent le travail de la compagnie.
Memories of Sarajevo
Au lendemain du traité de Maastricht qui donne naissance à l'Union Européenne des 12, la Bosnie-Herzégovine déclare son indépendance et plonge dans une guerre civile qui durera 3 ans. De 1992 à 1995, de Maastricht à Dayton (accords fixant les nouvelles frontières du pays), les responsables politiques et les traités se succèdent tandis que sur le terrain la situation des civils se délite ; la guerre politique laissant place à une crise humanitaire. Sur scène, le dispositif scénique à deux étages souligne bien l'écart qui se creuse déjà entre les lenteurs administratives et ses conséquences immédiates: en hauts, les dirigeants yougoslaves et européens font traîner les négociations ; en bas, les civils comptent les jours et courent entre les bombes en quête de ravitaillement. Tel un groupe témoin et représentatif de la complexité du pays, les douze jeunes amis sarajeviens, serbes, croates, bosniaques, musulmans, catholiques... n'ont d'autre combat que de survivre et défendre leur ville. Tandis que l'UE reste comme tétanisée par tant de divergences, c'est finalement l'OTAN qui imposera la fin du siège et la répartition ethnique du nouvel état, sans pour autant parvenir à refermer les plaies ouvertes.
Dans les ruines d'Athènes
15 ans plus tard, pour résorber le gouffre de sa dette et sortir de la crise, la Grèce doit se plier aux plans d'austérité dictés par l'UE et le FMI. Reprenant la scénographie à étages, la mise en scène met en parallèle la realpolitik des Merkel, Sarkozi (puis Hollande), Strauss Kahn (puis Lagarde) &cie avec la réalité de Cassandre, Oreste, Antigone, Médée, Iphigénie... ou plutôt leur télé-réalité. En effet, les noms de la mythologie sont ici ceux des participants au jeu « Parthenon Story », qui propose d'une part de faire un don pour résorber la dette nationale, et d'autre part, d'observer les 8 candidats vivre enfermés dans une maison et élire celui qui verra sa dette personnelle effacée. Aux restrictions européennes imposée à l’État grec (coupe des dépenses publiques, abaissement du système social), répondent celles infligées aux candidats (coupures d'eau et d'électricité, rationnement alimentaire), à l'image d'une population asphyxiée par des mesures drastiques et vaines. A mesure que les participants au jeu télévisé sont traités comme de véritables rats de laboratoire à la merci de la production et du public, la Grèce devient le cobaye d'une instance internationale qui s'essaie à la gestion de crise sur un cas d'école.
De la crise des Balkans à la crise grecque, cette traversée géopolitique voit l'Europe grandir et s'affirmer : elle passe de la passivité à l'ingérence. Sur scène, Europe est incarnée sous les traits de la figure mythologique, la princesse phénicienne Europa séduite et enlevée par Zeus dont la descendance peuplera le continent. Prêtresse chantante revenue du fond des âges, elle erre d'un tableau à l'autre, accablée de voir ses enfants se déchirer.
L'énergie et l'aisance des acteurs à traverser les thèmes et les registres sert parfaitement un travail d'écriture mené en profondeur, de la dramaturgie à la mise en scène. Menant de front une ambition à la fois artistique et sociétale, le Birgit Ensemble tombe parfois dans le piège d'une simplification didactique manichéenne. Mais le collectif semble savoir et assumer que raconter l'histoire, c'est choisir, et donc prendre parti.
Conception et mise en scène: Julie Bertin, Jade Herbulot (le Birgit Ensemble)
Avec: Éléonore Arnaud, Julie Bertin, Lou Chauvain, Pauline Deshons, Pierre Duprat, Anna Fournier, Kevin Garnichat, Jade Herbulot, Lazare Herson-Macarel, Timothée Lepeltier, Élise Lhomeau, Antoine Louvard, Estelle Meyer, Morgane Nairaud, Loïc Riewer, Marie Sambourg
Prochaines dates: 3 et 4 mars 2018 : MC2 Maison de la culture de Grenoble