Expo photo: Keon Wessing, l'image indélébile
Avec Koen Wessing, une photographie c'est toujours un peu ça : au premier plan, un homme, une femme, des humains. Des anonymes jamais banals, des « pas tout à fait n'importe qui » dont le matricule importe peu. Au second plan, le décor, le contexte, ce paysage qui fait entrer la petite histoire d’humain dans la grande de l’humanité: des murs en ruines, une affiche de propagande, des nuages de fumée, un tank au milieu d'une place...
Et le cadre est posé, le sous-titre apparaît : les Pays-Bas, qui ont vu naître le photographe et qu'il immortalise dans les années1960 ; le Chili de l'après coup d’état par Pinochet (puis le Salvador, le Nicaragua) en 1973 ; l'Afrique des nouvelles indépendances ; la Chine d'après Mao, l'éveil de l'Europe de l'Est après la chute du mur...
Ne croyez pourtant pas avoir affaire à un énième reporter de guerre. Certes, Wessing a eu le don d'être au rendez-vous de l'actualité internationale, mais de celle-ci il saisit l'action la main dans le sac et l'émotion sur le vif. Il a su « voir venir » comme il dit, « sans anticiper », lui qui n'a pas la gâchette facile, habitué à l'économie de films, et pour qui chaque cliché doit faire date, laisser une trace. Une trace dans la mémoire du spectateur, du photographe, et du photographié. Les choses ne peuvent plus être les mêmes, pour aucun d'eux, avant et après la prise.
C'est peut être cette attention particulière aux figures qu'il capture qui rend unique le travail de Wessing, et lui fait dépasser le simple reportage pour atteindre une dimension sociale et engagée.
Pour cela, un simple regard. Celui que porte le photographe sur son sujet (je suis sûre qu'il détesterait ce mot mais je n'en trouve pas d'autre...) jamais condescendant, jamais voyeur. Celui du photographié aussi, ce regard-objectif qui traverse le cliché, s'adresse directement à Wessing, et à nous à travers lui, comme pour dire : « Je vois que vous me voyez. Vous êtes témoins ».
Pas d'illusion donc. Il s'agit bien d'un acte photographique, d'une prise de position à laquelle est invité le spectateur : impossible indifférence.
« Mais pourquoi m'ont-ils laissé faire ? » On peut effectivement s'étonner, à l'instar de Wessing, de la proximité de ses clichés avec les gens, avec les actes, qui de fait dévoilent, dénoncent. Il faut dire que l'époque est à la mise en scène pour plusieurs des régimes dont il témoigne de la naissance. Que penser par exemple de la junte militaire chilienne qui choisit le stade national de Santiago pour parquer ses prisonniers...quel meilleur lieu de « spectacle » ?
Ensuite, Wessing qui sait mesurer sa « chance » et rester discret, semble abhorré la facilité du spectaculaire ; ses images sont toujours fortes, jamais violentes. De même, signe de son respect et de sa sympathie pour les luttes qu'il photographie, il ne montre pas le chagrin, mais plutôt la révolte, pas l'abattement, plutôt la lutte.
En cela, Wessing est bien le photographe des têtes hautes de son époque, celui des fronts fières et des regards francs, de ceux qui ont les pieds dans la boue et les mains ligotés.
du 17 novembre 2018 au 12 mai 2019 Château de Tours (en partenariat avec le Jeu de Paume)
Centre d'art et lieu de référence pour la diffusion de l'image des XXe et XXIe siècles (photographie, cinéma, vidéo, installation, net art...), le Jeu de Paume a vocation à produire ou coproduire des expositions, mais aussi des cycles de cinéma, colloques, séminaires, activités éducatives ou encore des publications.
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