Critique cinéma: "Les moissonneurs" ou la stratégie de la terre brûlée
Free State, c'est le bout du monde, derrière l'horizon il n'y a rien ; ses habitants sont les derniers de l'humanité, après eux, le néant. Entendez par là la fin du monde chrétien.
Pour cette petite communauté tardive d'Afrikaners, descendant de hollandais installés depuis le 17ème siècle en Afrique du Sud, leur village, à l'est du pays, est le dernier bastion d'une société pour laquelle la fin de l'apartheid a sonné le glas : celle des colons missionnaires blancs et ruraux.
Irréductible, réunie et isolée, elle maintient coûte que coûte ses valeurs et ses traditions : travail, famille, religion.
Les Moissonneurs d'Etienne Kalos traduisent : les champs, le maison, l'église... il n'y a que l'étendue des champs de maïs qui ouvre un peu le champs de la caméra, autrement confinée à des espaces clos et concentrés.
Au milieu d'une atmosphère parfois étouffante, dans un monde où seul le collectif compte, le réalisateur taille de magnifiques portraits d'individus singuliers.
Parmi ces derniers « élus » d'un temps révolu, Marie et Jan ont fait de leur foyer une arche de Noé en recueillant de jeunes âmes perdues pour les sauver autant que pour se sauver eux-même.
Après Jano et ses petites sœurs, c'est l'arrivée de Pieter, adolescent orphelin venu à son tour (et contre son gré) grossir les rangs de la famille composée qui va perturber ce fragile équilibre. Venu de la ville, ce corps étrange et étranger vient rappeler qu'un autre monde existe.
Un hors cadre mystérieux et sombre envahit l'image et fait planer l'ombre d'une menace qui est aux portes du village.
Deux modèles de sociétés, qui volontairement s'ignorent et pourtant coexistent dans un même pays, se rencontrent et s'affrontent à travers les personnages de Jano et Pieter. Figures jumelles, les deux adolescents sont en tout point le contrepoint l'un de l'autre.
A l'image, tout est dit de cet antagonisme par les silhouettes : la force vive et musculeuse de Jano à la peau tannée au grand air par les travaux des champs contraste avec le corps chétif et diaphane du maladif Pieter.
Au seuil de l'âge adulte, ils passent ensemble l'épreuve du feu en faisant chacun le choix de mettre ce corps, le leur, au service de ce en quoi ils croient : le dureté du labeur, ou l'appât du gain...
Dans une complicité intense qui est celle de deux frères, c'est le combat acharné de deux forces contraires qui s'engage: rigueur pieuse d'un côté, lucidité machiavélique de l'autre... à savoir lequel sera le mieux armé pour affronter le monde qui vient.
LES MOISSONNEURS Bande Annonce
Les Moissonneurs, d'Etienne Kalos
avec Morné Visser, Juliana Venter, Alex van Dyk, Brent Vermeulen
sortie le 20 février 2019