Rencontre avec Olivier Ducastel & Jacques Martineau, les réalisateurs de HAUT PERCHES
Revenons un peu sur "Hauts perchés", ce dernier film d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau qu'on avait critiqué lundi dernier .
Sorti depuis maintenant presque une semaine,ce huis clos ambigü et un peu pervers y dévoile des personnes qui ne se connaissent pas, à se dévoiler les uns les autres.
Nous avons eu la chance de les rencontrer sur Lyon jeudi dernier et il nous ont à leur tour dévoilé quelques confidences sur le film et sa fabrication assez singulière :
Baz'art: Ma première question est pour Olivier, j'ai cru comprendre que le film a été tourné dans votre propre appartement et qu'il puise sa source dans des histoires qui vous sont très personnelles. Comment Jacques a t- il pu trouver sa place dans ce projet qui vous est si intime ?
Olivier Ducastel : Oh je pense que Jacques a facilement trouvé sa place (NDLR: Jacques opine du chef à côté)!
Il faut dire qu'il a désormais l'habitude,cela fait pas loin de 25 ans qu'on travaille ensemble (sourires) et je crois c'est souvent comme cela qu'on fonctionne même si on ne dévoilera pas nos secrets de fabrication, désolé (rires).
En effet, à l'origine j'avais très envie d'utiliser mon appartement comme décor principal car je trouve que c'est un lieu très cinématographique, avec des néons lumineux et un espace ouvert, un endroit à la fois chaleureux et en même temps assez anxiogène, où il était possible de tourner quelque chose dedans et Jacques a rapidement validé l'idée.
Par ailleurs, j'ai eu en effet cette idée d’essayer d’utiliser certaines expériences personnelles récentes que j’ai pu avoir avec des garçons manipulateurs et narcissiques.
Pour rentrer dans les détails de l'histoire, disons que j'ai rencontré coup sur coup trois garçons manipulateurs.
Il faut croire qu' à 50 ans passés, naïvement, je me suis un peu comporté comme un ado qui ne se rend pas compte qu’il est en train de se faire manipuler.
J'avais d'abord l'envie de raconter comme un garçon passe d'un pervers à un autre sans s'en rendre compte, j'en ai rapidement parlé à Jacques.
On a eu ensemble cette idée de faire en sorte que ce soit cinq personnes qui ont été en contact avec le même pervers et qui, du coup, se rencontrent, font connaissance par l’intermédiaire de cette personne, cela nous a semblé apporter une richesse plus cinématographique à cette idée de départ et surtout moins centré sur ma petite personne ( rires) .
Baz'art: Et le titre "Hauts perchés", qui en a eu l'idée et surtout comment on peut l'interpréter ?
Jacques Martineau :Je ne sais plus qui exactement en est à l'origine , mais au départ les titres qu'on avait était plus gratinés, plus ciblés LGBT on va dire ( sourire) ...
Disons que ce titre possède une double lecture :forcément se passe au 28ème étage,l'appartement où se situe le film se trouve au 28e étage, donc très haut, cinq individus haut perchés réunis pour une soirée macabre.
Evidemment, le titre du film renseigne aussi sur l'état des personnages, de ces sentiments intenses qui traversent tous les personnages, ces personnes ont quand même eu un plan un peu tordu, et donnent l'impression d'être un peu en haut des cimes -( sourires) .
Baz'art: Votre film parle de "pervers narcissiques"; sujet maronnier des magazines féminins, pourquoi avoir eu envie de traiter de ce sujet, mais sans en même temps ne jamais vraiment utiliser ce terme et surtout sans jamais filmer le pervers narcissique en question?
Jacques Martineau : Vous savez, quand on fait un film, c'est avant tout pour se poser des questions; questions diverses et variées qui peuvent se poser sur le cinéma, sur le monde, sur ses personnages..Forcément, si on raconte cette histoire, cela ne nous intéresse pas de filmer le pervers , il est bien plus préférable de se concentrer sur celles et ceux qui ont été confrontés à sa perversion et qui vont, par le biais de la parole et de la rencontre, tenter d’avancer.
Après comme vous le signalez, ce sujet a été tant de fois traité par une presse assez futile.
Ce sont eux qui ont inventé ce terme de "pervers narcissique", un terme qui n'existe pas en terme de science ou de psychologie ; on est soit pervers soit narcissiques.
Nous avons ainsi trouvé plus judicieux de l'aborder sous l'angle des victimes, cela permettait aussi de nous affranchir de ce terme "pervers narcissiques; pour parler du personnage qui est dans la chambre interdite du film.
Olivier Ducastel : Pas un instant, on a vraiment songé à accorder plus d’importance au rôle du manipulateur.
On imagine sans moi ce que cela peut avoir de frustrant pour le spectateur de ne jamais voir ce qui se déroule dans cette chambre et de ne jamais matérialiser cette figure du mal, mais c'était vraiment un principle de base auquel il ne fallait jamais déroger.
« Haut perchés » doit agit sur le spectateur tel un miroir de ses propres fantasmes et ses propres paranoias : si on lui donne trop de clés pour y répondre, on cadenasse trop son imaginaire et on rate notre coup.
Baz'art: Est-ce qu'on peut dire que « Haut perchés » est conçu comme une sorte de réponse à « Théo & Hugo dans le même bateau », notamment dans la manière très chaste dans la façon dont vous montrer ces corps, qui tranche forcément avec cette scène de sexe explicite de vingt minutes du précédent qui avait tant défrayé la chronique? ,
Jacques Martineau : C’est vrai qu’au fond de nous-même,on peut dire qu'on a un côté mauvaise tête, on nous l'a reproché parfois.
Cette fois, on a pris un malin plaisir à ne rien montrer.On s’est presque interdit tout contact physique entre les personnages.
Le personnage de François annonce même la couleur" cela ne se finira pas en partouze", on y tenait à cette phrase, car on sait que dans un bon huis clos, soit on s’entretue, soit tout le monde finit par baiser, et on tenait totalement à déjouer ces attentes là ..
Olivier Ducastel : Pour rajouter un mot là dessus, disons que ce qui nous interessait avant tout dans ce film, c'était comment avant tout on peut représenter le fantasme, sans qu'il ne perde de sa force du réel.
Il y a deux pendants du fantasme : quelque chose de 'sale' et qui peut déranger quand on en parle, et quelque chose dans l'acte même. Or, le cinéma ce n'est pas de l'acte, c'est de la représentation, et c'était là dessus que tout le film devait se jouer, d'où notre parti pris de ne rien montrer.
Baz'art: "Hauts perchés" pourrait parfaitement être une pièce de théâtre, et pourtant vous l'avez écrit pour ce film uniquement, pouvez nous en expliquer les fondements?
Olivier Ducastel : Oui tout à fait, une fois que j'ai dégagé avec Jacques ce thème des manipulateurs qui m'était donc très personnel, je lui ai posé la question en ces termes : pourquoi ne filmerait t-on pas cette pièce de théâtre que l’on n’a jamais écrite quand on était jeune ? Ce jeu de faux semblants entre le cinéma et le théâtre qui nous intéressait beaucoup...
Baz'art: Et d'ailleurs, on pense forcément aux pièces de Lagarce, c'est une référence assumée, n'est ce pas?
Olvier Ducastel : Evidemment, on assume totalement le côté "piece de Jean Luc Lagarce", et d'autant plus qu' on a déjà travaillé sur les pièces de cet immense dramaturge.
Bien avant le film de Dolan, on avait déjà adapté "juste la fin du monde "pour la comédie française et france TV.
Il fallait sortir la pièce de tout le décorum théâtral et l'emmener vers le cinéma et ce fut une expérience très enrichissante qui nous a donné un grand sentiment de liberté et on avait envie de développer cela, et de faire une pièce un peu " la manière de "....
Baz'art: D'où un film dans lequel la parole est primordiale, incessante même?
Jacques Martineau : Oui, bien sûr. Dans ce huis clos où chacun tente de guérir de sa blessure narcissique c'était évidemment la parole, qui est au centre du dispositif, ; chaque personnage devait avoir son propre monologue, son moment clé qui renvoie à celui de l'autre entendu précisemment, et cet exercice de dentelle dans l'écriture était assez fascinant à mettre en place.
Le dialogue est le moteur du récit, c'est un fait incontestable, on adore voir des gens parler, et dans Hauts perchés, les actions à part les plus quotidiennes ( couper une tarte aux pommes, ouvrir une boite de sardine) sont toutes filmées hors champs ; ce qui importait c'était de donner beaucoup de texte à jouer à nos acteurs pour qu'ils montrent tout l'étendue de leurs palettes de jeu....
Baz'art: Justement, à propos des acteurs, un rôle détonne un peu si on connait un peu la filmographie, celui du personnage féminin parfaitement joué par Manika Auxire, un type de personnage qu'on n'imagine pas forcément dans ce film. Pourriez- vous nous en dire un mot sur ce choix de casting?
Olivier Ducastel : Il faut savoir que chaque rôle a été écrit sur mesure pour son interprète, je ne voulais filmer que des amis que je connaissais bien et on a écrit le film en pensant à eux.
Mais il se trouve qu' un des garçons que l’on avait envisagé pour le rôle n’était pas disponible pour le tournage et on l'a appris assez tardivement.
Du coup je me suis demandé avec qui j'avais le plus envie de tourner et j'ai pensé très vite à Manika Auxire, avec qui j’avais travaillé l’été précédent au conservatoire.
Jacques n'a d'abord pas trop compris l'arrivée de ce personnage féminin, même si au bout de 24 heures, il s’est rendu compte que ce n’était pas si idiot que cela, de développer ce côté " fille à pédés" qu'on voit dans la fiction et qui existe pourtant.
Et les quatre comédiens masculins (NDLR: François Nambot et Geoffrey Couët, les deux héros de « Théo & Hugo dans le même bateau » ; Simon Frenay et Lawrence Valin) étaient vraiment ravis de tourner avec une comédienne, cela changeait forcément la perspective. et apportait un peu de fémininité à cette grande assemblée de mâles blessés ...
Jacques Martineau Oui, j'avoue que j'ai résisté un peu, mais en fin de compte je trouve l'idée d'Olvier excellente, je trouve que cela ouvre quelque chose de très intéressant.
J’ai évidemment du réécrire un peu le rôle, mais finalement pas tant que ça.
C’était même assez amusant de se dire qu’une fille avec quatre garçons pouvait avoir le même type de relation qu’un garçon avec d’autres garçons gays.....
HAUT PERCHÉS - Bande Annonce