Critique cinéma : Cocaine Prison de Violeta Ayala : l'or vert devenu blanc
Cocaïne Prison est le troisième long-métrage documentaire de Violeta Ayala, cinéaste et productrice bolivienne et ce documentaire saississant et passionnant sur la cocaine sort ce mercredi en salles.
Dans l'introduction à son excellente série documentaire Une odeur de poudre, diffusée sur France Culture dans l'émission « Les pieds sur Terre » (à retrouver ici), Adila Bennedjaï-Zou retrace le parcours de la cocaïne : à partir de la coca récoltée en Bolivie, au Chili ou au Pérou, elle est transformée au Brésil, transite par l'Italie avant d'envahir le marché européen.
Face aux difficultés toujours plus nombreuses pour faire rentrer la cocaïne aux États-Unis, les narco-trafiquants lorgnent en effet sur le Vieux Continent pour écouler leur stock.
En bons commerciaux, ils ont pénétré ce nouveau marché avec un argument imparable : une baisse de prix spectaculaire. Alors qu'un gramme de cocaïne coûtait encore de 120 à 140€ il y a quelques années, il vaut aujourd'hui deux fois moins cher.
Résultat : la cocaïne, autrefois réservée à l'élite, est désormais sniffée dans toutes les classes sociales, par tous types de narines. Comme le rappelle la journaliste, des forêts boliviennes aux soirées européennes, la cocaïne est le produit mondialisé par excellence.
Un seul petit trait de poudre blanche relie des individus complètement étrangers à des milliers de kilomètres les uns des autres.
Une file de fourmis transportant de minuscules morceaux de feuilles de coca ouvre le film de Violeta Ayala, Cocaine Prison.
Le propos de la réalisatrice bolivienne d'origine quechua est clair : se pencher sur les petites mains, les premières à tremper dans l'or vert qui deviendra blanc.
En Bolivie, la coca est une plante sacrée, indissociable de l'identité du pays. Evo Morales lui-même, ancien président du pays, était étroitement lié au syndicat des producteurs de coca.
Produit ancestral utilisé depuis des millénaire, la coca est devenue sulfureuse, quand les récoltes ont été massivement destinées à la production de cocaïne.
Sous la pression des États-Unis, la Bolivie a adopté des mesures drastiques contre la production et la transformation de la coca, jetant potentiellement la moitié du pays, qui vit de sa culture, en prison, à commencer par les ouvriers situés au plus bas de l'échelle. C'est le cas de Hernan, Daisy et Mario.
Hernan a été arrêté à la frontière avec deux kilos de cocaïne.
Attiré par l'argent facile, qui devait lui permettre de monter un groupe de musique, il a accepté de servir de mule. Il a écopé d'une lourde peine de prison. Sa sœur Daisy, étudiante, tente par tous les moyens de le faire libérer.
Les destins de Hernan et de Daisy illustrent le lot de milliers de Boliviens, pour lesquels la coca et la cocaïne constituent une source de revenu souvent nécessaire.
Comme Hernan, ils sont les premières victimes d'une loi ultra-répressive qui épargne leurs employeurs, les seuls capables de payer pour leur innocence dans un système judiciaire corrompu.
En plus d'être inique, ce système est également défectueux, comme le souligne le cas de Mario, compagnon de cellule de Hernan. Arrêté dans le laboratoire de cocaïne où il venait de commencer comme ouvrier, Mario croupit en prison en attendant un procès éternellement reporté.
En cherchant à faire libérer son frère, Daisy est prise dans le même système absurde où les frais de justice exorbitants la poussent naturellement dans les bras des narco-trafiquants, pour pouvoir les assumer.
À l'absurdité du dehors répond la violence du dedans.
Documentaire aussi percutant que terrifiant, Cocaine Prison repose sur des images rares, prises de l'intérieur de la prison de San Sebastian, située dans la troisième ville du pays, où sont emprisonnés Hernan et Mario.
Elles jettent une lumière crue sur le quotidien de 700 détenus, entassés dans une prison conçue pour en accueillir 80, le résultat du tout-répressif.
Ultra-violente, insalubre et surveillée seulement de jour, la prison est soumise à la loi du plus fort.
Dans cet enfer, où chaque détenu doit acheter sa cellule, les plus faibles sont immanquablement écrasés.
De façon crue et directe, le film de Violeta Ayala montre les conséquences de l'addiction de l'Occident à la cocaïne. Bien avant la santé des européens, poussés par le culte de la performance en soirée comme au travail, la cocaïne ravage la société bolivienne.
COCAINE PRISON/ en salles le 27 novembre 2019 distribué par Juste DOC