On a vu Dérapages : une série intense et ambitieuse menée de main de (Le)maitre !
Lorsqu'on a rencontré fin janvier lors d'une après midi exceptionnelle l'immense romancier Pierre Lemaitre (prix Goncourt pour Au revoir là-haut), on avait pu l'interroger sur son projet d'adaptation en séries de son roman Cadres noirs dont j'avais entendu parler sans deviner que le projet était aussi bien entamé .
Il ne tarissait alors pas d'éloges sur cette série sur laquelle il s'était personnellement impliqué avec la scénariste Perrine Margaine, et me disait que la première projection publique de ce film allait se faire lors du Salon Séries Mania prévu en mars à Lille pour être diffusé quelque mois plus tard sur Arte.
Finalement, le Covid 19 est passé par là, provoquant l'annulation du festival Séries Mania et précipitant la diffusion sur arte de cette série qui sera diffusé sur arte les jeudis 23 avril et 30 avril prochains, et disponible en intégralité sur le site arte.tv du 16 avril au 13 mai 2020.
On a pu voir la série en avant première et on a été très emballés par le résultat final
Cette série de 6 épisodes est réalisée par Ziad Doueiri- cinéaste à la fois de cinéma , qui aura tourné l'Attentat ou l'Insulte, deux excellents thrillers humains qui se déroulent au Proche Orient- et de série- c'est lui qui a tourné les trois saisons de Baron Noir, qui maitrise parfaitement sa caméra, souvent toute en energie et intensité.
Rebelote ici dans ce thriller à haute teneur sociale non dénué d’humour noir, qui nous plonge dans la tête d’Alain Delambre, antihéros aussi ambigu qu'attachant qui voit Eric Cantona, dans le meilleur rôle de sa carrière s'investir totalement dans ce personnage et offrir énormément de densité à ce personnage assez formidable .
Cantona est Alain Delambre, un cadre dans les RH, de + de 55 ans, et anéanti par six années de chômage sans espoir. Aussi, quand un employeur accepte enfin d'étudier sa candidature, Alain Delambre est prêt à tout : à emprunter une somme d'argent considérable, à se disqualifier aux yeux de sa femme, de ses filles et même à participer à l'ultime épreuve de recrutement, un jeu de rôle sous la forme d'une prise d'otages.
Pour Nicole, cela revient à servir les méthodes de management inhumaines qui l’ont mis au chômage. Mais Alain est déterminé à mettre toutes les chances de son côté, suscitant la stupeur de sa famille.
Le roman de Lemaitre "Cadres Noirs" allait sans inhibition aucune, sur le terreau du social, et s'il n'était évidemment pas le seul roman noir à le faire, il y allait frontalement, en posant une réflexion finement amenée et comme il est aux commandes de la série, il prolonge ce qu'il faisait dans le roman en élargissant sur 6 heures de temps les problématiques sociales et les relations familiales particulièrement complexes .
D'un fait divers qui pourrait totalement survenir dans notre société de maintenant, Lemaitre et Zouari nous font réfléchir sur la réinsertion sociale, celle qui passe exclusivement par le travail, et qui peut amener les individus, même les plus normaux de prime abord, aux plus sombres dérives.
Pierre Lemaitre a écrit son roman Cadres noirs il y a dix ans, mais autant dire que celui ci est plus que jamais d’actualité tant l'aggravation du fossé entre les riches et les pauvres est un sujet brûlant, partout dans le monde.
Alain Delambre est un personnage qui pose la question de la survie dans un monde impitoyable. C’est un homme en colère, mais aussi capable de distance et d’humour.
Mélant avec grande maitrise, thriller social, film d'action (plusieurs séquences fortes se déroulent en prison) étude psychologique, et violente satire du management libéral, la déclinaison en six épisodes permet largement de mieux comprendre les motivations profondes de la partie adverse, cette grande entreprise aux techniques de management cyniques et inhumaines (personnifié par un manageur machiavélique joué par un étonnant Alex Lutz en contre emploi) tout en intensifiant efficacement le suspense.