Rencontre Musique : Suzane, la révélation scène des Victoires de la Musique 2020!!
Le 16 février dernier, soit un mois avant le confinement - un autre siècle on a l'impression- on avait eu la chance d'aller au Théâtre Comédie Odéon pour la dernière session à ce jour du festival de chanson française, la bien nommée French Connexion.
On avait aussi eu l'impression de faire partie des privilégiés qui avaient été totalement bousculés par l'énergie communicative de celle qui est sans contexte le phénomène musical francophone de 2020 : Suzane, qui a sorti en ce début d'année son premier album “Toï Toï” ( voir notre chronique ici même).
Une poésie contemporaine et intense, mélangée à des mélodies travaillées et à des chorégraphies viscérales expliquent sans doute l'engouement unanime pour cette artiste.
Une artiste que j'ai eu la grande chance d'interroger la semaine dernière pour une interview confinée toute en décontraction ,en humilité et en propos responsables.
Baz'art : Bonjour Suzane. Je t'avoue tout d'abord que je suis très honoré d'échanger avec toi. Permets moi d'abord de te dire que je t''avais vu en concert à Lyon au Théâtre Comédie Odéon à Lyon en février dernier et tu m'avais ce jour-là, en plein sieste dominicale, totalement épaté. C’était, il me semble, ton tout premier show après que tu ais reçu la révélation scène française des dernières victoires de la musique. Très vite, j'avais compris pourquoi tu l'avais obtenu cette récompense, tant tu avais réussi à faire lever un public pourtant bien assis dès le premier morceau sans que jamais ils ne pensent à se rasseoir.
Tu te souviens précisemment de ce concert là? Et, sincèrement, Suzane, quel est ton secret pour réussir ce genre de défi- là ?
Suzane : Oui je m'en souviens bien, par contre, désolée de te contredire dès ta première question (rires), mais ce n'était pas mon premier concert juste après ma victoire de la musique.
On avait un peu fait les fous sur ce coup-là, on avait bien fêté la victoire la nuit du vendredi au samedi (rires) et ensuite on était partis à Annemasse se produire sur scène le samedi soir et ensuite Lyon nous attendait en plein dimanche après-midi.
Effectivement, c'était dans un théâtre, donc tout le monde était assis au début du concert. C'est vrai qu'au départ, je râle toujours un peu auprès des organisateurs quand je m'aperçois de cela, car a priori ma musique n'est pas forcément adaptée à une configuration de salle assise.
Mais en l'occurrence j'avais vite vu que le public n'avait pas envie de rester assis très longtemps, je les sentais bien chaud et c'est ce qui s'est d'ailleurs passé...
Finalement, quand le public est assis, je le vois même comme un petit défi plutôt sympa à réaliser. S’ils restent sur leur siège tout le concert, c'est que j'ai raté mon coup, mais je crois bien que cela ne m'est jamais arrivé jusqu'à présent (rires) ...
Baz'art: Lors de ce concert, j'avais noté l'absence de quelques morceaux de ton album que tu n'avais pas joué comme "P'tit gars" ou "Le Potin", j'avoue que j'adore ces titres et que je les attendais pas mal....
Suzane :(elle coupe ) Ah oui, à cette époque, certains titres n'étaient pas encore totalement prêts pour une version scène mais depuis, sur les dernières dates j'ai pu jouer l'intégralité de l'album.
J'avoue que j'aime pas mal ce l'on fait sur ces morceaux là d'ailleurs... Esperons que tu puisses les voir sur une prochaine date lyonnaise pour que tu puisses vérifier par toi même ( rires) ..
Baz'art: La chanteuse Cléa Vincent, que j'ai interrogée récemment et dont le genre musical- électro pop- est assez proche du tien, me disait que sur scène, elle se voit un peu comme une DJ version XXL. C’est comme cela que tu vois aussi les choses quand tu te produis en live ?
Suzane : Ah, non pas vraiment, je trouve que c'est un peu réducteur... Personnellement, j'aime bien voir mes concerts comme un spectacle complet, certes je mixe pas mal, mais je ne fais pas que cela comme tu as pu le constater : je chante, je danse, il y a même pas mal de théâtralité dans mon spectacle .
Disons que j'essaie de mettre sur scène un engagement total, je sors de là totalement vidée à chaque fois.
Je ne suis pas certaine qu'un DJ de boite puisse dire totalement la même chose (rires)...
Baz'art : Justement, parlons en de ton énergie. Comment fais-tu pour compenser actuellement en cette période de confinement ce manque de scène... Depuis plus d'un an, tu n'as pas arrêté de jouer sur scène, tu étais même l'artiste qui a le plus fait de festival l'été dernier, et malheureusement là tu es obligée de rester chez toi, ce n'est pas trop dur à vivre ?
Suzane :Ecoute, je te mentirais si je te disais que je vis cela parfaitement. .Evidemment comme tu le dis, j'ai eu comme un sentiment d'être quelque peu coupée dans mon élan...
Je me produisais sur scène depuis plusieurs mois ; j’avais encore plein de dates de prévues.
Comme l'an passé, on avait signé pour un certain nombre de prestations dans des grands festivals- concernant vous autres lyonnais j'avais très envie d'aller jouer à Fourvière que je n'ai jamais fait et dont on m'a si souvent vanté les qualités- et cela m'attriste forcément de voir que cela ne pourra pas se faire.
Il a fallu que je digère un peu la chose, et j'étais un peu en boucle je t'avoue, les premiers temps.
Mais en même temps, j'essaie de ne pas trop me plaindre... Tu sais, mon père et ma sœur sont soignants, je suis bien sensibilisé à l'horreur de la pandémie et à ce que vit le corps médical. Au vu des histoires qu'ils me racontent je trouve que je suis bien privilégiée comme cela
J'ai pu descendre chez moi dans le Sud, j'ai un jardin donc je peux faire du sport pour libérer mon énergie qui effectivement est parfois un peu difficile à canaliser (rires), mais je mets à profit le confinement pour être créative et travailler sur de nouveaux morceaux.
Sincèrement, je prends mon mal en patience, il y a bien plus mal lotie que moi...
Baz'art : Comment tu vois, à plus ou moins long terme, l'impact de cette crise sanitaire sur notre société actuelle? Si on s'amuse à faire un parallèle avec les textes de tes morceaux, tu penses que ça va produire tout un tas de "Madame Ademi " qui ont un peu peur de tout, ou bien tu penses, au contraire, que la frénésie ambiante, que tu stigmatises dans "Et plus vite que ça", va se calmer et que les gens vont profiter de ce ralentissement contraint pour mieux apprécier les choses ?
Suzane: Disons que j'ai tendance à avoir une vision assez optimiste sur les conséquences de cette pandémie sur les relations humaines et sociétales...
Tu cites deux morceaux en particulier mais on peut aussi en prendre d'autres de mon répertoire, si, évidemment tu n'es pas contre cela (rires) .
Je pense par exemple à "il est où le SAV?" où je met l'accent sur cette planète un peu cassée, que les hommes détruisaient à petit feu. Eh bien, j'ai vraiment envie de croire que ce qui vient d'arriver va faire prendre conscience aux gens des dérives de la mondialisation sur notre environnement.
Quand tu imagines qu'un virus sorti de nulle part a réussi à enfermer chez eux l'ensemble des gens qui peuplent cette planète, tu te dis que c'est quand même un truc de fou.
Pour moi et pour tous ceux à qui j'en parle, c'est certain qu'on va tirer des leçons de tout cela, notamment dans notre manière de consommer, on va plus aller plus du côté des circuits courts et faire un peu plus attention à notre petite planète ...
Baz'art: C'est bien d'en être convaincue mais euh...
Suzane : Si si, crois moi ( rires).... Tu sais, l'autre jour à la radio, j'entendais un historien dire quelque chose que j'ai trouvé très intéressant.
Il nous a fait remarquer qu'au cours de l'Histoire, se sont toujours succédés ,à des séquences de crise, des périodes de bouleversement très positifs.
Par exemple, après la période de la peste dans les années 1300, il y a eu la période de la Renaissance ..
Eh bien moi, je veux croire qu'on va avoir aussi notre Renaissance à nous .(rires)..
Je vois bien qu'une vraie solidarité est en train de se créer sur plein de choses, donc pour moi il n' y a pas de raison que cela s'arrête et qu'il va y avoir du positif après cette période bien noire.
Baz'art : Tu parles du morceau "Il est ou le SAV?" et j'ai vu que tu avais eu pas mal de retours sur ce titre, il avait sensibilisé les gens à la défense de la planète...C'est une chanson "engagée " comme un certain nombre de ton album qui abordent des thématiques politiques et sociétales comme le harcèlement ou la grossophobie...Est-ce que dans l'absolu, tu as plus de retours du public sur ces titres là précisemment ou alors sur des morceaux plus intimes mais tout autant universels comme "Petit Gars" ou "Anouchka" ?
Suzane : Oh, c'est assez variable...tu sais, les chansons nous échappent toujours un peu et les gens les reçoivent selon leur personnalité et leur humeur du moment, c'est cela qui est bien aussi dans ce rapport entre une chanson et le public...
Alors il parait en effet que je fais des chansons" engagées"- je n'aime pas forcément cette étiquette mais pas mal de journalistes me la colle- et forcément ces morceaux provoquent des discussions, les auditeurs réagissent et donnent leur opinion dessus.
Depuis le confinement, comme on en parlait juste avant, "Il est où le SAV?" prend une autre dimension et permet un peu d'élargir le débat... le morceau "SLT" fait aussi pas mal réagir, surtout depuis les Victoires de la Musique car c'est le morceau que j'ai joué sur scène ce soir-là et pas mal de gens m'ont découvert à cette occasion avec ce titre.
Et le sujet du harcèlement, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la vie professionnelle, est quelque chose que beaucoup de femmes ont rencontré dans leur vie.
Je sens bien que j'ai touché quelque chose à ce niveau-là.
Baz'art: Mais tu ressens quoi exactement quand tu vois que tu as justement touché si juste, grâce à la puissance de ton écriture?
Suzane : Du plaisir, pas mal de fierté, évidemment... j'ai tendance à me dire que quelqu'un qui va écouter une chanson et se sentir concerné va se sentir un peu moins seul.
Si j'arrive à faire ça, alors on peut dire que j'ai un peu gagné la partie ( sourires) .
A mon avis, le fait qu’il existe un morceau sur une thématique comme l'obsession du poids, le coming out, la folie des réseaux sociaux peut nous aider à avancer dans la vie.
Quand les gens me disent que telle ou telle de mes chansons les accompagne un peu dans leur vie, j'en suis vraiment ravie.
Mais tu sais, j'ai aussi pas mal de retours sur des morceaux plus légers comme "La Flemme" ou aux "4 coins du globe", là en ce moment, les gens me disent que je les fais voyager à distance avec ce morceau, donc c'est varié, j'ai de la chance que pas mal de textes fassent réagir, là encore je ne vais pas m'en plaindre...
Baz'art: Ton repertoire est composé certes de morceaux aux textes plus légers mais qui parlent quand même de sujets profonds à mon sens. Et c'est justement, ce qui est formidable avec tes morceaux, le fait que tes textes traitent de sujets graves et sombres alors que tes mélodies sont dansantes, sautillantes, up tempo...Au départ, tu n'as pas eu la crainte, en concevant ces titres, que les gens se laissent trop porter par le rythme et en oublient un peu d'écouter le sens profond de tes textes ?
Suzane : C'est marrant que tu me fasses cette remarque car cela me fait penser à une sortie de concert, assez récennte, où un monsieur d'un certain âge est venu me voir pour me dire que je l'avais perturbé et qu'il en était ennuyé.
Quand je lui ai demandé pourquoi, il m'a répondu justement qu'il avait été attiré au départ par les mélodies très dansantes, avec ce beat un peu puissant et ce n'est que plus tardivement dans le concert qu'il a pris conscience de la portée des textes et de la noirceur de certains de mes propos.
J'ai trouvé cela assez amusant, qu'il se sente autant déstabilisé, car ce n'était pas forcément mon intention de départ (rires) ...
Depuis le début de mon projet, j'ai eu envie de mélanger cela , ces rythmes électro qui fassent bouger les gens et une écriture qui essaie de faire un peu réfléchir, qui ait du sens.
Après je m'en moque un peu si les gens s'attachent plus à la mélodie ou plus aux textes, l'important est qu'ils aiment ce que je leur propose.
Autrement dit, qu'importe la porte d'entrée par laquelle ils sont entrés dans ma musique, l'essentiel est qu'ils ne veulent pas en sortir (rires) .
Baz'art : Oui, d'autant plus que tu n'es pas la seule à avoir tenté cet ambitieux alliage... Je pense notamment à Stromae avec qui la filiation me semble évidente. A ce propos, j'ai vu qu'à chaque article sur toi, le journaliste va te comparer à pleins d'artistes différents, Stromae donc, mais aussi Eddy de Pretto, Angèle, Christine and the Queen, et aussi des artistes de chansons françaises plus "institutionnalisées" comme Brel, Piaf, Fréhel... Sincèrement, tu en penses quoi de toutes ces références, tu n'as pas envie à un moment de dire "stop, que c'est bien joli tout cela mais qu'avant tout, tu es Suzanne et que c'est déjà bien" ?
Suzane (Rires) :Tu as tout à fait raison, depuis que j'ai commencé à lire quelques articles qui parlent de ce que je fais, j'ai le sentiment d'être un peu " prise en sandwich" entre une dizaine d'artistes différents...
Et c'est d'autant plus rigolo ce que tu me dis car ce sont plus les gens qui me suivent depuis le début de ma carrière qui en ont un peu marre de ces références et qui ont tendance à dire que j'existe avant tout en tant que Suzane; j'ai vu pas mal de commentaires dans cette veine là et ça m'a fait assez marrer.
Moi, franchement, ce que je peux dire, c'est que tous les artistes qui sont cités en référence, je les aime beaucoup, cela m'embêterait bien plus si on me comparait à des artistes que j'aime pas du tout, là je me dirais qu'il y a un truc qui cloche, mais c'est jamais arrivé il me semble (rires) ...
Mais après, certaines de ces références me semblent quelque peu incongrues.Quelqu'un comme Eddy de Pretto, par exemple, je peux te dire qu'il ne m'a pas inspirée du tout, pour la bonne et simple raison que la plupart des morceaux qui sont sur mon album datent d'il y a quelques années déjà, bien avant que je n'entende ceux d’Eddy.
En revanche, je ne te cacherai pas que Stromae compte beaucoup pour moi, j'ai énormément écouté ses deux albums et inconsciemment ou non, ils m'ont énormément accompagné quand j'ai écrit mes disques.
Quant à des artistes comme Piaf ou Brel, je les mets tellement haut dans mon panthéon, j'ai même tendance à totalement les idolâtrer, que si on me compare à eux, à la limite je n'y crois pas je trouve que c'est complètement disproportionné.
De toute façon, pour en revenir à ces articles de presse, ce que je retiens surtout c'est que mes disques- mon EP et cet album- ont été très bien accueillis par les médias, j'ai lu pas mal de choses très élogieuses dessus et cela, c'est pas mal quand même (rires) ..
Baz'art: Tu fais mention à ton EP et à ton récent album. Il s'est écoulé un peu de temps entre les deux. Tu as ressenti une pression à la sortie de cet 'album "Toï Toï", vu l'excellente réception de tes premiers EP ?
Suzane : Disons surtout que je n'avais pas envie de me presser et d'être dans une urgence où j'aurais pu me perdre.
C'est vrai qu'aujourd'hui, comme je le dis dans ma chanson " Et plus vite que cela,", on est dans une époque où il faut que tout aille vite, il faut toujours être dans le résultat.
J'ai eu envie de faire un peu le contraire de cela : je ne me suis pas dit qu'il fallait sortir quelque chose rapidement parce qu'il y avait un engouement avec l'EP et les clips...
Je me suis dit également que si les gens veulent vraiment écouter cet album, ils sauraient se montrer au rendez-vous au moment adéquat.
Et puis, le temps n'était pas si long que cela; tout m'a semblé aller assez vite pour moi, j'ai pu aller assez rapidement sur scène et sortir plusieurs clips entre chaque, tout cela s'est fait dans la continuité.
Après, rassure toi, je m'étais quand même mise ma petite pression quand même ( rires).
J'avais peur qu'on me dise que les morceaux avaient plus de pêche sur scène que ça manque de ci et de cela, on donne quand même pas mal de soi dans la conception d'un album, donc forcément on appréhende un peu la sortie d'un album mais sans trop de stress non plus.
Baz'art : Oh non, il n'y a aucune raison, tant ton album est formidable. Suzane, merci énormément pour toutes tes réponses à mes questions alors que tu es déjà bien sollicitée de partout. Du coup, je te donne rendez-vous directement aux Nuits de Fourvière 2021, n'est-ce pas ?
Ah oui, j’espère bien que les programmateurs, des différents festivals qui étaient prévus cet été, vont reconduire la même affiche que cette année.
Cela me semblerait assez logique et moins pénalisant pour les artistes qui devaient s'y produire...
Mais j'espère bien revenir dans ta région avant l'été 2021 quand même.
Je t'ai dit que j'étais optimiste, il faut me croire! (rires).
Pour vous procurer l'album de Suzane, vous pouvez cliquer ici même
Merci à Patricia et aux labels Wagram/ 3e bureau