Née quelque part : la productrice de cinéma Michèle Halbersatdt renoue les fils de son histoire familiale
"Je suis la dernière des Halberstadt. Notre famille n’a produit que des filles. Ce nom s’éteindra avec moi... Je partageais l’approche de mon père qui, lorsqu’on l’interrogeait sur sa famille, son passé, balayait les questions d’une main définitive : seul le présent lui importait... Il me dit soudain : « Tu me fais penser à ma mère ». Dans la foulée, il ouvrit le tiroir supérieur d’une commode en chêne à sa portée, dont il extirpa sans la chercher une enveloppe blanche un peu jaunie. Il en sortit délicatement une photo d’identité au contour dentelé. « Je n’en possède pas d’autre. » ... Elle fixait l’objectif sans timidité ni coquetterie, sans douceur non plus. Elle se contentait de regarder droit devant elle, pensivement, sans esquisser le moindre sourire... « Elle a l’air un peu triste, non ? » Mon père me caressa la joue. « Moi je dirais plutôt… mélancolique ». Il rangea la photo et changea de sujet. Il mourut cinq jours plus tard.
De Michèle Halbersatdt, ancienne journaliste émérite de cinéma, désormais productrice- elle a crée ARP avec son mari Laurent Pétin, nous avait livré ses souvenirs et anecdotes de cinéma dans un livre paru en 2017.
Dans "Née quelque part," publié chez Albin Michel le mois dernier, cette grande dame du 7eme art se fait plus intime et tire le film d'une douloureuse mais néanmoins captivante histoire familiale
Dans cet ouvrage, elle plonge dans les archives du destin mène l’enquête et fouille les archives familiales pour reconstituer une histoire qu’on ne lui avait jamais vraiment transmise
Elle découvre au fil de ses recherches un Halberstadt, issu d'une famille différente. Et aussi incroyable que cela puisse paraitre, ce photographe est marié à la fille du psychanalyste Freud.
“Huit consonnes et trois voyelles. Il pourrait rapporter au minimum dix-sept points au Scrabble. Il ne procure que des soucis dans la vie de tous les jours. ‘Albert quoi?’ ‘Ça s’écrit comment?’ ‘Vous n’êtes pas d’ici ?”
Ce fameux nom, Halberstadt, si impossible à prononcer va s'éteindre avec elle puisque elle est la dernière des Halberstadt. Elle fait le chemin à travers les générations, croise l’itinéraire de sa famille paternelle, dont elle ne sait rien, avec celui de Max Halberstadt, gendre de Freud devenu son photographe officiel.
Sous sa plume attentive, on découvre le pape de la psychanalyse en émouvant patriarche ; sa fille Sophie, Max et leurs deux enfants que la vie n’a pas épargnés.
De Vienne à Hambourg esa quête va aussi la mener malgré elle vers son père, Juif polonais, né en 1915 dans une petite ville polonaise où l’antisémitisme bat son plein, traquant les indices jusqu’à Johannesburg, où il a émigré pour fuir le nazisme.
Récit sur la mémoire, la transmission, les horreurs des génocides, Née quelque part, et son titre emprunté à la célèbre chanson de Maxime Le Forestier, est surtout un très bel hommage d'une fille à son père décédé.
Née quelque part (Albin Michel), 256 p., 19,90€