Rentrée littéraire : 4 nouveautés en format poche
1/Le ciel par dessus le toit, Natacha Apanah (Folio)
/DERRIERE LES BARREAUX 🐺//
"Loup regarde derrière elle, ce tableau couleur de boue, effet boue, glissant et coulant devant lui, bâtiments, portes, grilles, fenêtres, marches, et quand il sort tout à fait du fourgon et que les menottes sont enlevées, il lève les yeux au ciel et celui-ci aussi est couleur de boue. Peut-être est-ce là un monde parallèle où la couleur a été enlevée pour mieux les punir et ce garçon qui porte le nom d'un prédateur se met à pleurer silencieusement."
🐺Je vous avoue que quand j'ai lu sur la quatrième de couverture qu'un des personnages s'appelait Loup, j'ai hésité à ouvrir ce livre. Je n'arrive jamais à rentrer dans les contes (je n'y crois pas).
C'est arrivé avec pas mal de titres souvent encensés. Mais le nom de Nathacha Appanah revenait à mes oreilles régulièrement et comme le livre est court, j'ai tenté...
.🐺..et j'ai bien fait car j'ai découvert la plume poétique de l'écrivaine, ses personnages écorchés vif, ce drame qui, plutôt qu'il sépare est une occasion de retisser des liens.
🐺 J'ai trouvé particulièrement "belles" (même si cela peut paraître étrange) les pages sur la prison et l'enfermement.
2/Baleze Kiese Laymon 10/18
« Comme la plupart des jeunes présents à la fête de Donnie Gee, j’ai dû vous écouter, toi et tes amis, me sommer des centaines de fois de ne pas porter de capuche sombre dans certains quartiers, de ne pas courir la nuit, de garder les mains bien visibles à tout moment en public, de ne pas nouer de relations intimes avec des Blanches, de ne jamais dépasser la limite de vitesse autorisée, de bien marquer l’arrêt aux stops, de toujours parler un anglais impeccable en présence des Blancs, d’être toujours plus performant qu’eux à l’école et en société en général et plus important que tout, de ne jamais oublier qu’en toutes circonstances les Blancs seraient toujours prêts à tout pour nous avoir. »
C’est l’histoire d’un gros garçon noir qui, devenu grand, écrit à sa mère. Une mère universitaire qui lui a mené la vie dure.Mais n’est-ce pas un truisme de mener une vie dure lorsque l’on nait noir dans l’état le plus raciste des États-Unis?
Être américain dans l’état du Mississippi fait déjà de vous un américain à part mais être un américain noir dans l’état du Mississippi fait de vous un américain à part écorché vif.
Kiese, petit garçon intelligent, devra se fabriquer de sacrés boucliers pour affronter les injustices et les humiliations qui sont le quotidien d’un écolier, d’un étudiant puis d’un professeur noir dans les états du sud des États-Unis.
« Balèze « c’est beaucoup plus qu’une simple autobiographie. «Balèze » c’est le cri sourd d’une révolte intérieure. C’est aussi et surtout une très grande œuvre littéraire, une autofiction sans concession et un style bluffant.
Un témoignage vibrant comme un passage de relais. En 1945, Richard Wright écrivait « Black Boy », en 2020, Kiese Laymon nous livre « Balèze ».
Un récit bouleversant et un puissant témoignage. Un auteur vraiment à suivre.
3/La discrétion, Faiza Guene ( Pocket)
"Pour toujours elle gardera la tristesse profonde de ceux qui ont le sentiment de tout avoir abandonné alors même qu ils ne possédaient rien. Pour toujours elle gardera cette illusion terrible qui peut croire qu elle peut quitter un lieu y retourner et laisser les choses comme on les a laissées."
Avec "la discrétion", son nouveau roman sorti pour cette rentrée littéraire, même si médiatiquement elle s'est faite aussi discrète que le titre de ce roman, Faïza GUENE continue de dresser le portrait choral d'une famille aux origines orientales, mais en y apportant une petite touche de singularité et en prenant parti d'un angle assez original.
Cette famille de 4 enfants, nés dans les années 80 et 90 qui ont une double culture, celle de la France où ils sont nés, et celle de l'Algérie de leur mère.
La romancière fait donc se croiser les trajectoires de chacun des membres de la famille permettant au lecteur de découvrir l’histoire familiale, du départ d’Algérie, et surtout la vie de Yamina, qui ne dit mot à ses enfants des déchirures de son exil et de passé qu'elle a délibéremment mis sous scellé.
Se montrant la plus silencieuse possible , affichant cette discrétion promise par le titre et que ses enfants, imprimés par leur culture européenne, ne cessent de lui reprocher.
Tout en délicatesse et en douceur mais sachant aussi se montrer un peu amère voire cruelle Faïza Guene nous montre que la résignation de Yamina et la colère qu'elle a réussi à étouffer toutes ses années ne l'a pas empêché de transmettre des fragments de son passé à ses enfants, ainsi qu'une volonté de résister et de subsister dans ce monde difficile
Un beau portrait de femme et de famille comme Faïza Guene sait parfaitement les dessiner ..
"-et n’allez pas croire que l’enfant qu’elle a élevée est du genre à s’affirmer féministe plus tard.
-As-tu une idée de ce que ça signifie ? »
Pour Amma, c’est la consécration, ce soir sa pièce est présentée au National Theatre de Londres. Un aboutissement de près de trente années de marginalité et de travail acharné.
Mais ce soir c’est un grand soir, « Les dernière Amazones du Dahomey » devraient tout arracher et ce soir surtout, dans la foule des spectateurs, il y a tant de femmes et d’hommes qui ont comptés pour elle.
Il suffit alors de tirer le fil de sa vie et de toutes les autres vies et voilà un siècle de l’Histoire féminine et africaine de l’Angleterre qui se déroule.
Racisme, patriarcat, déterminisme social et toutes les luttes pour exister dans un monde qui vous refuse : Black Power + Mee too + LGBT + Blacklives Matter devient tout simplement Human Rights.
Une construction diabolique pour un roman qui parle de notre époque, une longue phrase sans point sur près de cinq cents pages, comme un plan séquences infini qui nous raconte les vies de femmes noires, hétéros ou lesbiennes ou Trans, leurs amours et leurs combats.
Un collage urbain, londonien, féministe et humaniste.
Un très grand roman qui se lit comme on regarde une série très addictive.