" Je crois que l'on devient ce que notre père nous a enseigné dans les temps morts, quand il ne se souciait pas de nous éduquer. On se forme sur les déchets de la sagesse." Umberto Eco dans " Le Pendule de Foucault"
Qui était vraiment mon père durant la deuxième guerre mondiale? se demande Karolyn.
Victor Emanuel Wagfall, soldat peu zélé, cadre discret dans les bureaux de la gare de l'Est ou bien Isidor Schweig, jeune peintre allemand exerçant son art dans le Paris occupé.
Victor, un mari, un père vaguement neurasthenique qui fit une carrière de fonctionnaire sans éclat dans l'Allemagne de l'après-guerre ou bien Isidor, un copiste de génie qui durant l'occupation sauva de la spoliation des tableaux de peintres prestigieux. Isidor Sweig dont plus personne n'entendit parler après la défaite allemande.
Ce dont Karolyn ne se doutait pas en venant vivre à Paris après la chute du Mur de Berlin, c'est qu'elle mettait ses pas dans les pas de son père cinquante ans plus tard.
Ce père, Victor Emanuel , qui raconta sa vie de faussaire mélancolique dans douze vieux cahiers d'écolier qu'elle retrouvera dans le grenier familial après la mort de ses parents.
"Dès la mi-novembre, les objets d'art des Juifs furent pris dans le filet d'une juridiction qui allait permettre de les piller méthodiquement les années suivantes, pièce par pièce, œuvre par œuvre. Les principales lois ou "ordonnances du Führer " sur l'expropriation et la persécutions des juifs furent bouclées en quelques mois. Une ordonnance de septembre 1940 avait déjà précisé que l'Allemagne avait signé l'armistice avec l'Etat français en tant que "peuple" . Pour l'occupant allemand, tous les citoyens français n'étaient donc pas automatiquement considérés comme membres du peuple français et n'avaient donc pas non plus les mêmes droits.
Les juifs ne faisant plus partie du peuple français, le Reich allemand ne se sentait pas tenu de respecter leurs droits de propriété.
Sur cette interprétation inédite de la citoyenneté qui déniait leurs droits civiques aux Juifs français et les assimilait à des étrangers s'appuya aussitôt une série de décrets légitimant complètement la confiscation des objets d'art et autres biens juifs. Au besoin on concoctait rapidement une disposition spéciale pour les cas particuliers."
" Le temps des faussaires " est un roman historique et un petit résumé dense et roboratif de l'Histoire de la peinture de Velasquez à Picasso en passant par Renoir et Courbet dont vous saurez tout sur l'origine de " L'origine du Monde".
Bettina Wohlfarth décrit minutieusement les fonctions du service ERR qui, durant la guerre, procédait à la confiscation méthodique et hexaustive du patrimoine culturel des juifs déportés ou acculés à la fuite dans les pays occupés.
Mais "Le temps des faussaires" est aussi le roman tendre et violent d'une époque troublée et de ses conséquences dans l'Europe d'aujourd'hui.
Une fresque érudite à l'écriture fluide qui se lit d'une traite.
Le Temps des faussaires Editions Liana Levi
traduit de l’allemand par Élisabeth Landes