Critique- La Banquise - Théâtre de Belleville (Paris)
Amélie est une jeune femme lumineuse qui passe sa vie à chercher les causes de son mal-être qu’elle s’épuise à dissimuler. Elle traque ce qui ne va pas chez elle, ce qu’il empêche d’être au monde, jusqu’au jour où la brigade des mineurs l’appelle.
La Banquise est une adaptation du récit d’Adélaïde Le Bon, La petite fille sur la banquise, publié en 2018 (Ed. Grasset et Fasquelle) dans lequel elle retrace sa reconstruction : « J’ai neuf ans. Un dimanche de mai, je rentre seule de la fête de l’école, un monsieur me suit.
Après, la confusion. Année après année, avancer dans la nuit »
Ils sont six sur scène et pourtant, ils n’en forment qu’un, une troupe service de ce récit et de la réflexion. Des scènes, avec des experts déconnectés ou une psychologue culpabilisatrice, s’enchaînent et décontenancent Amélie (Céline Laugier), désormais, jeune femme, qui cherche à savoir d’où vient son mal-être.
Elle en parle mais rien n’est relié à « l’accident de ses 15 ans ». Toutes ses pensées et ses comportements ne sont le fruit de sa responsabilité. Amélie leur donne un nom : les méduses.
Mais ces méduses sont le reflet d’un plus grand mal : l’amnésie traumatique. Les méduses sont les symptômes de cette amnésie, du stress post-traumatique. Le traumatisme, la violence intériorisée ne doit être rejetée sur les autres.
Il faut donc contenir l’angoisse : être obligé de se mordre, de se gifler, se cogner la tête, contenir les pensées violentes.
Reprendre possession de son existence, cela passe notamment par le corps : lors d’instants dansants hors du temps, ce n’est pas qu’Amélie mais toutes les victimes à travers la personne de Joséphine Toby qui se réapproprient leurs corps.
Cette pièce percutante et nécessaire agit comme un puzzle de réflexions qui fait sens dans la lutte contre les violences intrafamiliales.
Cesser le silence, c’est le rôle que Marie Frémont donne à son théâtre, sa définition de l’écrire : comme les tribunaux ne sont pas à la hauteur, c’est au théâtre de prendre à bras corps ce sujet. Pour reprendre la metteuse en scène, « le théâtre est une écriture en creux ».
Et elle creuse la question par le biais du récit d’Adélaïde le Bon mais surtout avec un ton qu’elle a voulu « poético-politique » : d’une discussion avec une personne externe au récit (le choix d’un acteur homme n’est pas anodin) qui pourrait être un journaliste qui l’interviewe, Marie Frémont expose son processus de création du spectacle tout au long de la pièce, pour démonter pièce par pièce un système de domination.
Amélie arrive seule sur scène mais finit entourée, après que le silence soit tombé.
À travers l’histoire d’Amélie et d’Adélaïde, Frémont rappelle surtout que le procès qui se déroule sous nos yeux est une exception parce qu’il y a « le coupable idéal », l’homme inconnu qui sort de nulle part, immigré, déjà condamné…
Crédits photos : CÉDRIC MICHON
La Banquise
- Théâtre de Belleville
03/09 > 26/09 - 2023