Un jubilatoire « Ubu roi » proposé par La Nouvelle Compagnie
J'ai pu découvrir en avant-première une mise en scène d'Ubu roi par Eram Sobhani, auteur, metteur en scène et co-directeur de l'École Auvray-Nauroy où se déroulent actuellement les représentations. Vous pouvez l'y voir jusqu'au 22 novembre (ne tardez pas !), il faudra sinon patienter 2025 pour de nouvelles dates au Théâtre des Possibles de Perpignan et au Studio Théâtre de Stains.
Avec cette mise en scène jubilatoire et inventive de la pièce la plus célèbre d'Alfred Jarry, La Nouvelle Compagnie - qui œuvre pour un théâtre politique et poétique - m'a permis de redécouvrir ce texte lu en surface dans mes jeunes années, sans réelle appréciation de son sous-texte. Grâce à la compagnie, j'ai pu également, pour la première fois entendre sur scène le cultissime « Merdre » inaugural - objet de scandale à l'époque.
L'histoire, en deux mots ? Acculé par sa femme la Mère Ubu, le Père Ubu, roi d'Aragon, s'empare du pouvoir en délogeant le roi Venceslas du trône de Pologne. En quelques jours, il affirme sa toute puissance, son despotisme et son rejet de tout ce qui s'apparente de près ou de loin à la démocratie, en assassinant à tour de bras nobles et magistrats, avant de s'attaquer aux paysans ne pouvant payer l'impôt. Il fait régner la terreur, saccageant toute institution, sapant toute forme d'autorité, sous les yeux effarés de la Mère Ubu, désemparée d'avoir créé un monstre si froid - et si stupide, surtout. Jusqu'où ira-t-il ? Vous le découvrirez en allant voir la pièce, à Saint-Denis, Perpignan ou Stains...
Les quatre comédiens font tour à tour résonner leur organe vocal à coups de saillies verbales aussi meurtrières que la folie du Père Ubu. Thomas Nolet et Bastien Touminet incarnent plusieurs personnages, tandis que Natalie Beder et Paul Tilmont endossent les rôles de Mère et Père Ubu. Leur investissement dans leur rôle est total, le texte servi à leur perfection. J'aurais presque pu les écouter dire des grossieretés pendant des heures encore... On est dans le grotesque, le vulgaire - et c'est jouissif ! À leur jeu de scène s'ajoute l'harmonieuse manipulation de différents instruments de musique comme l'harmonica et la guitare. Un quatuor talentueux à plus d'un titre.
Le metteur en scène et la scénographe Nathalie Savary forment un duo brillant : citons notamment ce parti pris de ne symboliser la violence qu'à travers l'usage d'objets en résine, de marionnettes ou de têtes décapitées en guise de réceptacles de la folie d'un homme. Parlons aussi d'éléments de décor comme ce squelette de cheval en bois ou cette toile peuplée de visages déployée en fond de scène. Ils exercent un drôle d'effet sur le spectateur, entre fascination et malaise.
Vous l'aurez compris, tout est génial et ambitieux dans cet Ubu Roi. Absolument immanquable.
Crédit photo : Romain Kossellek