Il y a eu beaucoup de choses. D’abord, ma mère était allée à une conférence et m’en avait parlé. Puis c’est un sujet que j’ai abordé avec les producteurs alors que nous cherchions un nouveau sujet. Il y aussi probablement ma propre colère du monde en ce moment. Je connaissais finalement assez mal l’histoire de sa vie, hormis quelques points saillants, comme beaucoup de gens de mon âge ou plus jeunes encore. Il a fallu du temps avant d’être convaincu qu’il y avait matière à raconter un film.
La documentation
Frédéric Tellier : C’est un peu ma spécialité, les grosses enquêtes, même si celle-ci n’a pas été très longue. Il y avait énormément de matière déjà existante à laquelle j’ai eu accès, parce que j’étais très proche de la Fondation Abbé Pierre et du mouvement Emmaüs, donc très proche des archives. Et comme il s’agit d’une reconstitution historique, pour cette documentation, j’ai travaillé avec des journalistes spécialisés. On a récolté presque 5 000 photos, dont beaucoup sont inédites, des documents vidéos et des lettres écrites dans son échange épistolaire avec François Garbit, son grand ami.
Le choix de Benjamin Lavernhe
Son nom a été évoqué très tôt dans les pistes de réflexion. Je le connaissais déjà car il avait un petit rôle dans mon premier film, L'Affaire SK1 Il fallait un acteur très solide pour incarner ce personnage car il y avait beaucoup de texte, beaucoup de dialogues, beaucoup de discours, beaucoup de fatigue à venir. Et il fallait aussi cette petite fragilité d’âme.
Trois questions à Benjamin Lavernhe
Incarner une légende
C’est un rôle unique dans une vie. Incarner l’Abbé Pierre comble le plaisir du comédien car il était un grand tribun, un grand orateur, qui avait le pouvoir de toucher au cœur par ses prises de paroles. Il avait une grande dimension théâtrale. Cela est mis au service d’un film multiple, d’aventure, d’histoire et terriblement engagé. C’est un homme bouleversant de complexité. On montre sa force comme ses fragilités et ses doutes.
L’acteur et le personnage
C’est la première fois que j’incarne quelqu’un d’aussi connu et d’aussi aimé. Il y a quelque chose de très sérieux dans l’exercice. Ça supposait un grand travail de documentation, de rencontres avec ses proches.je me rassure beaucoup par le travail. J’ai consulté un maximum d’informations, de textes, des heures d’archives, 5000 photos…
Comme c’était un portrait assez intime, je voulais d’abord aller à la rencontre de cet homme, savoir qui il était avant de me demander comment l’incarner.
J’ai beaucoup aimé lire ses journaux intimes, qui sont vraiment très intimes, ses carnets d’adolescence. Il grattait beaucoup, et avait cette amitié et cet échange épistolaire avec son ami de collège François Garbit, qu’il a gardé jusqu’au bout.
Le travail de composition
Pour jouer quelqu’un de 94 ans, on est obligé de truquer sa voix, donc autant être dans le mimétisme. Beaucoup de gens d’ailleurs aux avant-premières ne voyaient pas la différence avec les images d’archives montrées dans le film.
C’est déjà ça de réussi.
Je trouvais très excitant d’aller vers une véritable composition à l’américaine, mais je ne voulais pas qu’on voie le travail, et je souhaitais surtout rester cohérent avec l’Abbé jeune.
C’est aussi en étant au plus près de moi que j’ai pu servir le personnage. Il n’était pas question de l’imiter ou de le singer. Ce qui compte, ce sont les signes. C’est à la fois se connecter à son énergie, son phrasé et incarner la manière dont il est habité.