Critique de « L'Innocence » de Hirozaku Kore-Eda
Saori élève seule son fils Minato depuis que son mari est décédé. Alors que le comportement de Minato l'inquiète de plus en plus, elle suspecte son professeur d'être le responsable de son changement récent et cherche à le confronter. Mais elle se heurte à une équipe de direction mutique qui cherche uniquement à ne pas faire de vagues…
On vous conseille l'innocence en salles demain car le réalisateur japonais très estimé Kore-Eda réalise un de ses meilleurs films autour de la destructivité de la honte et des secrets.
Il le fait à l'aide d'une histoire qui dévoile sa complexité et ses richesses par couches successives pour mieux atteindre la luminosité de son propos.
À chaque nouveau récit contradictoire, comme dans De bruit et de fureur de Faulkner ou Rashomon d’Akira Kurozawa, nous allons nous rapprocher de la vérité et découvrir que la “monstruosité” du titre
Captivés et émus, c'est ainsi que ce grand cinéaste nous maintient pendant toute la durée d'un film dont il sait entretenir l'opacité, se plaisant à jeter les maints éléments du puzzle que constitue son intrigue, tels des éclats coupants, sur un tempo indolent en apparence.
A l'image de cette mère et de son fils qui regardent brûler, du calme de leur balcon, un immeuble qui, bien que voisin, semble extrêmement lointain.
Un enchevêtrement de récits
Le récit revient alors en arrière, le jour de l’incendie, mais vu sous un autre angle. Trois fois de suite. Contrairement aux apparences, c’est Minato qui harcelait l’un de ses camarades parce qu’il est homosexuel. Puis l’on découvre que c’est peut-être le contraire, et enfin que le professeur accusé au début est victime d’une cabale et de malentendus.
Kore-eda rebat les cartes, ajoutant à ce premier récit, deux autres : à la perspective de la mère succède celle de Hori, puis des enfants. Sur le modèle du Rashomon de Kurosawa, la vérité première se fait doute. À une intrigue linéaire et manichéenne, Kore-eda préfère lui aussi la complexité. Non sans fustiger le conformisme de ses contemporains et une société prête à s'emballer pour la première rumeur.
Les trois segments de ce film ont pour originalité d'être à la fois singulièrement différents - chacun pourrait exister pour lui-même et contient à lui seul tout un monde, celui de son personnage principal - et reliés par de petites touches souterraines.
Se côtoient ainsi des individus aux prises avec un secret, une norme, une injonction et qui, en raison de traditions étouffantes jusqu'à l'absurde, ne se rencontrent jamais réellement malgré le désir évident d'y parvenir.Un film-aimant, magistral
et pluvieux, qui n'épargne aucun faux-semblant de la société japonaise. S'il y a bien un film qu'on aurait souhaité voir porté aux nues cette année à Cannes, c'est L'Innocence.