Critique Théâtre: "Actrice" de Pascal Rambert- le Théâtre, art de la parole qui fait tenir debout l'homme?
Il y a une dizaine de jours , le directeur de la Comédie de Saint Etienne, Arnaud Meunier, appelait à l'organisation d'états généraux des écrivains de théâtre pour défendre le texte contemporain délaissé au profit des classiques, vendeurs, et des écritures de plateau, en vogue ( cf Libération, du 8 février 2018)
"A-t-on encore besoin des auteurs ?" : ce titre volontairement provocateur, comme les affectionne Libération, a été, le 12 janvier, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase déjà bien plein d'un dénigrement systémique et presque institutionnel de nos écrivain·e·s dramatiques en France.
http://www.liberation.fr)
Pascal Rambert, lui, continue d'écrire, et même de publier. Conscient du défi, alors que tout semble avoir été écrit, il persévère, convaincu que tout reste à écrire. Dans sa pièce Actrice, il persiste et signe cet adage qui retentira comme un slogan : « […] le théâtre est l'art de la représentation de la condition humaine, […] l'art de la parole qui fait tenir debout l'être humain ».
Debout, son « actrice » n'y tient plus : apparemment jeune et belle mais rongée d'une maladie sans nom, Eugénia apparaît au seuil de sa carrière, et donc de sa vie. Et non l'inverse. Car, c'est peut être ça sa maladie : « tu vis dans le regard des autres » lui balance sa sœur, « et maintenant qu'ils détournent le regard... ». Elle se fane, comme les centaine de fleurs qui inondent sa chambre d'hôpital. On ne compte pas les roses, les lys, les magnolias qui couvrent le plateau, et qui, écrasés par les néons blafards prennent un aspect morbide.
Les bouquets continuent de s'accumuler aux rythme des visites qui peinent à égayer le tableau : famille, amis, compagnons de théâtre... c'est un défilé de caractères plus théâtraux les uns que les autres. On retrouvent les parents éplorés et maladroits, le mari alcoolique, les ados en crise, la sœur jalouse, le beaux frère amant, et le vieil ami mentor... même le prêtre a fait le déplacement.
Plus qu'un tableau de famille (élargie), c'est un véritable bestiaire qui se compose autour de la malade. Est ce son statut d'actrice, sensée « représenter l'imaginaire » et dont le travail consisterait à « faire sortir nos larmes » ; est-ce la vision de la mort qui panique, l'odeur du sang qui excite ? Toujours est-il que ces réunions et va-et-viens au chevet d'Eugenia catalysent tout ce que l'on peut compter de « névroses et de miasmes psychiques ». Eugenia, elle, se place plutôt du côté de la tragédie grecque, dans des envolées hallucinatoire (divinatoires ?) où elle navige entre vision du passé et du futur, diction racinienne à l'appui.
Mis à part l'interlude musical pendant lequel tous se lient pour mettre en scène « La Conférence des fleurs », allégorie de la bataille contre la mort, il n'y a que peu de répit dans les reproches, insultes et autre coups de becs.
On peine à croire que Rambert, auteur et metteur en scène majeur du théâtre français actuel, soit « tombé » dans le piège de tels clichés. C'est peut-être au contraire en extralucide qu'il écrit du théâtre sur le théâtre, et sur ceux qui s'y rendent... « Les gens viennent au théâtre pour voir ce qu'il connaissent » met-il dans la bouche d'un de ses personnages. Est-ce l'institution « Théâtre » qu'il métonymise à travers Eugénie : idéaliste et mourante, sans le sous, jalousée et dénigrée? « ça existe encore la culture dans ce pays ? » provoque la sœur ; « et comment va le théâtre ? » radote Eugenia.
Enfin, quel meilleur personnage que le vieux metteur en scène pour un dernier clin d'oeil : « les gens ont peur du noir, et du silence, alors ils applaudissent. »
Et ça ne manque pas, car devant cette pièce brillante et acide, évidemment, nous applaudissons...
La pièce a été jouée au Théâtre des Bouffes du Nord
Du 12 au 30 déc 2017
et également entre autres
13 > 17 fév 2018
Théâtre National de Bretagne / Rennes
A noter que la pièce s'arretera dans notre ville de Lyon et plus précisemment au Théatre des Célestins, Théâtre de Lyon du 06 03 au 10 03 2018
et aussi
La Comédie de Clermont-Ferrand 21 03 – 23 03 2018
Valenciennes, Le phénix 27 03 – 28 03 2018
Amsterdam, Brandhaarden festival 30 03 – 01 04 2018
Générique :
Texte et mise en scène, scénographie PASCAL RAMBERT
Lumière YVES GODIN
Costumes ANAÏS ROMAND
Assistante à la mise en scène et directrice de production PAULINE ROUSSILLE
Le texte d’Actrice est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs
Avec: MARINA HANDS, AUDREY BONNET, RUTH NÜESCH, EMMANUEL CUCHET, JAKOB ÖHRMAN, ELMER BÄCK, YUMING HEY, LUC BATAÏNI, JEAN GUIZERIX, ou PASCAL RAMBERT RASMUS SLÄTIS SIFAN SHAO LAETITIA SOMÉ HAYAT HAMNAWA LYNA KHOUDRI ANAS ABIDAR en alternance avec NATHAN AZNAR