Dans les quantités d'autofiction que l'n reçoit dans la boite aux lettres et qui brouillent les pistes entre fiction et réalité et qui rendent hommage à un père, une mère, un cousin, une grand mère, tout n'est pas du même niveau forcément.
Voici deux très belles publications qui rendent un très émouvant hommage à des figures parentales à la fois ordinaire et extraordinaire
1. Suzanne, Frédéric Pommier ( Les Equateurs)
"Dans la grande demeure en brique rouge et jaune, on est aux petits soins pour Suzanne. La petite grandit bien. Elle n'est jamais malade et ressemble au bébé cadum des affiches de réclame pour le savon"
Frédéric Pommier, connu pour ses belles chroniques culturelles sur France Inter, et connu aussi pour avoir été une sorte de lanceur d’alerte sur les EHPAD, vient de publier ce récit bouleversant sur sa grand-mère âgée de 96 ans, à la vie fulgurante et très romanesque qui s'intitule comme le titre de ce livre l'indique, Suzanne.
Suzanne est cette femme qui a quasiment traversé un siècle, elle est née en 1922. Elle a connu la mode à la garçonne après la guerre, les allumeurs de réverbères, les voyages en train à charbon, la France occupée pendant la seconde guerre mondiale, l'indépendance de l'Algérie. Elle a été veuve à 40 ans et a élevé alors seule ses 4 enfants. Malgré les coups bas de la vie, elle a toujours gardé un appétit de vivre, une curiosité et cette devise SQM, "sourire quand même" quoiqu'il arrive.
Suzanne, c'est aussi le récit de son quotidien dans un Ehpad depuis 9 mois. Infantilisation de la part des aide-soignants (tout comme le racontait Grand Corps Malade dans son film sous prétexte qu'il était dans un fauteuil roulant) soins effectués de manière mécanique et sans aucune douceur même si Suzanne souffre, repas sans saveur ni odeur...
Et la maltraitance qui ne dit pas son nom mais dont il est bien question. 3 personnes en salle de réfectoire pour 90 personnes âgées comment travailler dans de telles conditions ? Alors on ne peut qu'avoir vraiment le cœur serré en pensant à toutes ces personnes âgées qui sont traitées aussi mal que Suzanne aujourd'hui.
Une société civilisée peut elle accepter sans broncher et qu'est ce qu'on attend pour réfléchir à d'autres lieux où vieillir dans la dignité ? Suzanne a changé d'établissement après avoir alerté sa famille. On espère fortement qu'elle a retrouvé depuis la qualité de vie et les liens humains que chacun mérite quelque que soit son âge et sa condition sociale.
2. L'homme des bois Pierric Bailly ( Folio)
"En vérité non, je ne suis pas sur qu'il ait glissé en se promenant dans la forêt et je ne peux affirmer non plus que la chute soit accidentelle. Evidemment, on ne suicide pas en se jettant depuis une falaise de trois mètres et encor emoins en se laissait dévaler le long d'une piste abrupte.le problème c'est qu'en surplomb de la foret ou il a été retrouvé, il ya une autre falaise beaucoup plus grande de celle ci, d'une hauteur de près de 50 metres, juste au dessus de la pente."
Après la disparition brutale de son père, 61 ans et pas encore retraité, dont le corps a été retrouvé au fond d'un fossé trois jours après sa mort, alors qu'il était parti cueillir des champignons, Pierric Bailly s'est senti le besoin de prendre la plume, pour tenter de dérouler le cheminement de la mort et également de la vie de son père.
Avec cette tendre et pudique analyse de la relation père/fils à travers les souvenirs d'enfance et d'adolescence d'un presque quadra qui vient de perdre son père de façon soudaine, cet "homme des bois "est le récit d'un deuil filial autant que la chronique d'une vie provinciale dans un Jura délaissé par ses forces vives, et ses jeunes habitants.
Pierric Bailly tisse les fils d'une enquete sur un père aussi secret que singulier , qui a été travailleur social et humaniste, et décide de partir sur les traces de l’absent et essayer de cerner la destinée d’une génération qui a connu l’effervescence d’après mai 68, et qui a voulu quitter Paris et sa folie pour aller en montagne.
"Au début je me disais que j'allais faire une ou deux découvertes, un petit trésor, quelques secrets, mais plus j'avance dans ma tâche et plus je suis frappé par la cohérence de son personnage. [...] Tout lui ressemble. »
Parti à la recherche de sa vérité et celle de son père , sillonnant le Jury dans la voiture de son père pour paraitre un vrai jurassien, Pierric Bailly réhabilite son papa dans un bel élan littéraire.