Nous étions à la jolie Première de Cinq ans d'âge au Théâtre de l'Essaïon, une adaptation du texte éponyme de Jean-Pierre Klein (publié aux éditions TriArtis) par Michel Laliberté et son assistante Agathe Quelquejay. Une pièce drôle et cruelle portée par quatre talentueux comédiens, qui interroge sur le rôle de la mère et sur l'influence de nos années d'enfance sur notre adolescence et notre vie d'adulte.
Nous voici dans le bureau d'un juge à assister à la déposition de Damien (Rémi Goutalier), un jeune adolescent qui semble avoir commis un acte terrible - que nous ne découvrirons qu'à la fin. Afin de comprendre ce mystérieux acte, d'en déterminer les origines, son juge (Patrick Courtois) lui demande de raconter son histoire. C'est le point de départ d'une série d'allers-et-retours dans le passé, et plus particulièrement, dans l'année de ses cinq ans, qui a, selon lui, tout déclenché...
Tout au long de la pièce, il confie aux juges des épisodes qui l'ont marqué et dans lesquels sa mère, Edith (Laetitia Richard), qui l'élève seule depuis le départ de son père, a une place majeure. On le voit, prostré, enfermé dans son mutisme, accusant en silence les réflexions de sa mère. Elle n'a de cesse de lui répéter qu'elle ne l'aime pas, qu'il est un accident, avant de le serrer dans ses bras jusqu'à l'en étouffer, en lui disant, que non, il ne faut pas croire ce qu'elle dit, que oui, elle l'aime plus que tout. Laetitia Richard est excellente dans ce rôle de mère désemparée, délaissée, totalement déséquilibrée par ce statut de mère célibataire, anéantie d'avoir dit adieu à sa vie de femme pour épouser, contre son gré, celle de mère. On ne sait sur quel pied danser avec elle, on la déteste autant qu'on compatit pour son sort, car elle est terriblement seule, cette femme.
Dans ces moments fondateurs, ces moments qui ont tout fait basculer, il y a aussi des hommes incarnés chacun par le très drôle Régis Romélé, à commencer par le psychologue pour enfants qui l'a suivi. Une véritable caricature du professionnel qui tente d'expliquer, pipe d'enquêteur au bec, son trouble avec des théories fumeuses et qui semble plus vouloir recaser ses cours théoriques qu'apporter une aide réelle à Damien. Quel est son nom ? Tiens, comme le prénom de feu le père de sa maman. Et son deuxième ? René. Tiens, donc. En appelant son fils ainsi, Edith n'a t-elle-pas voulu faire renaître son père ? Ses démonstrations ressemblent à de pâles syllogismes et semblent tellement tirées par les cheveux, que l'on ne peut que rire. Il y aussi ce date avec qui Edith tchatche sur un site de rencontres où elle se fait appeler Fougueuse42 et qu'elle finit par rencontrer dans un bar. Cela donne lieu à une scène surréaliste où elle joue un jeu de séduction pendant que Damien termine sa grenadine. En silence, comme toujours.
Au fur et à mesure de la pièce, le suspens grandit - on se demande ce qui a bien se passer pour que Damien se retrouve dans le bureau d'un juge -, en même temps que notre empathie pour ce garçon. Les zones d'ombre vont peu à peu se dissiper, au point, presque, de nous aider à le comprendre, quoi qu'il ait pu faire. La performance de Rémi Goutalier est intéressante, dans la mesure où son jeu passe essentiellement par les expressions de son visage, il n'a que très peu de texte, mais parvient à compenser cela physiquement.
Au niveau de la mise en scène, j'ai beaucoup apprécié ces effets de flash-backs matérialisés par des jeux de lumière sur une partie et l'autre de la scène. Celle-ci est nettement divisée en deux : le passé étant symbolisé physiquement par l'intérieur de la maison d'Edith et Damien, le présent, par le bureau du Juge. Cela donne un certain dynamisme, un rythme soutenu, même si on aimerait parfois passer plus de temps avec le juge pour comprendre enfin, ce qui a pu se passer, entendre un peu plus la version de Damien. Les décors sont sobres, mais se suffisent à eux-mêmes.
Un petit hic néanmoins : l'omniprésence de menottes autour des poignets de Damien m'a semblé superflue, mais c'est la seule chose que je pourrais relever.
Une pièce à découvrir donc, et quand on pense qu'il s'agissait seulement de la Première, nul doute que celles qui ont suivi et suivront seront encore plus fantastiques !
Cinq ans d'âge au Théâtre de l'Essaïon jusqu'au 18 mai 2019 du jeudi au samedi à 19h45