Interview de Stéphanie Di Giusto, réalisatrice du film Rosalie
Un mois avant la sortie nationale de « Rosalie », la réalisatrice Stéphanie Di Giusto l'immense acteur Benoit Magimel et la non moins talentueuse comédienne Nadia Tereszkiewicz ont présenté le film lors d’une avant-première au Pathé Lyon Bellecour dans le cadre d'Ecrans Mixtes
Votre premier film, La Danseuse, date de 2016, pourquoi autant de temps s'est écoulé entre les deux films ?
Stéphanie Di Giusto
J’ai beaucoup beaucoup écrit. J’ai travaillé sur deux scénarios en même temps, dont Rosalie. Je ne savais pas sur lequel me lancer.
Puis, j’ai perdu mon père. Ce sujet de la femme à barbe s’est imposé par rapport à l’autre. Ensuite, il y a eu 4 ans pour la préparation du film, le tournage etc…
C'est compliqué de faire un second film ?
Stéphanie Di Giusto
Oui, le deuxième film est toujours le plus compliqué. Je ne voulais pas me précipiter et faire n’importe quoi. Je voulais garder une connexion avec le premier film, sans que ce soit une redite.
Mais La Danseuse, j’avais souffert de ne pas parler assez d’humanité puisque je racontais le portrait d’une femme hors norme également, mais artiste, qui n’avait finalement pas accès au sentiment.
Pour Rosalie, Je souhaitais faire tout le contraire. Je trouve qu’on est dans un quotidien qui se déshumanise de plus en plus.
C’était important pour moi de montrer le besoin d’amour. Rosalie a envie d’aimer et d’être aimé malgré la cruauté des autres. C’est une thématique qui résonnait en moi, surtout pendant ma période de deuil.
Un mot sur les conditions du tournage. Comment avez-vous recréé la pilosité de votre personnage ?
Stéphanie Di Giusto
Je ne voulais pas me contenter de coller un postiche sur la peau de mon personnage, comme on le fait généralement.
Je tenais à ce que l'apparence de Rosalie soit travaillée comme une sculpture que l'on modèle, une sculpture étrange et désirable.
On a beaucoup travaillé la couleur, la texture de sa pilosité… Mélanie Gerbeaux (la maquilleuse du film) a fait un vrai travail d'artiste, collant chaque poil un à un sur le visage et le corps de Nadia.
Du coup, celle-ci se levait à quatre heures du matin. Il y avait déjà deux heures de travail sur le corps et après, il fallait s'attacher à la coiffure, à la robe, au corset, puisque nous sommes dans un film d'époque…
Un travail de transformation de trois heures trente, quatre heures environ devait être répété chaque jour.
Votre héroïne, Rosalie, s'inspire de Clémentine Delait, tenancière de bar dans les Vosges au début du XXe siècle, et connue pour être « femme à barbe ». Qu'est-ce qui vous a touchée et intéressée, dans le destin de cette femme singulière ?
Stéphanie Di Giusto :
Ce qui m'a d'abord intéressée chez elle, c'est sa volonté farouche de ne pas être un phénomène de foire.
Quand on la voit sur les photos d'époque, quand on se documente sur sa vie, on retient d'abord ça : sa volonté d'être pleinement dans la vie, son désir d'être regardée comme une femme, et c'est ce qui m'a bouleversée. J'ai été touchée par l'allure, la grâce bizarre de cette femme qui pouvait à la fois assumer sa barbe et affirmer sa féminité, au début du XXe siècle.
Pour ma part, je situe mon histoire en 1875, cinq ans après la guerre franco-prussienne. Il règne à cette époque un climat assez particulier ; les gens sont encore meurtris par la guerre, suspicieux, blessés, une époque que j'ai trouvée intéressante pour installer mes deux personnages...
Votre film n'est pas un biopic mais le portrait d'une femme libre, qui veut assumer ce qu'elle est, vivre sa féminité, et la vivre pleinement.
Stéphanie Di Giusto
Exactement. Rosalie affronte le regard des autres et assume sa féminité particulière, contre les diktats de l'époque.
Finalement, elle ne se vit et n'est jamais abordée en victime ; elle va faire de sa particularité une force et c'est ce qui me fascine chez elle.
Elle s'affranchit, elle lutte mais en même temps, elle se cache pour souffrir et c'est aussi cette complexité que j'aime chez elle.
J'aime bien cette dualité entre sa rage de vivre et sa pudeur, sa détermination et sa fragilité.
Ne faut-il pas y voir un contrepoint au féminisme de l'époque, relié parfois à une forme de victimisation ?
Stéphanie Di Giusto /
C'est le sujet même du film. Je réprouve ce féminisme qui utilise le statut de la victime pour pratiquer, à son tour, l'oppression et l'abus de pouvoir ; il ne s'agit plus à mes yeux de féminisme mais d'identitarisme.
Je suis pour un féminisme nuancé, universaliste, qui permet aux femmes d'être ce qu'elles ont envie d'être. Rosalie met de la douceur dans sa revendication ; elle défend sa liberté mais elle est amoureuse et c'était très important pour moi de le montrer. L'époque est de plus en plus revendicatrice, moralisatrice et je trouve ça dommage. Je n'avais pas envie de donner une leçon, je voulais juste parler d'amour. Car l'amour, me semble-t-il, est le combat essentiel aujourd'hui.
La seule subversivité que je vois chez Rosalie, et que je voulais montrer, c'est son érotisme singulier, inédit ; une sensualité à la fois délicate et animale. Au fond, cette femme est très troublante et j'espère que le spectateur sera lui-même embarrassé par le désir, l'attrait et le trouble que cette femme suscite. Notre époque ne cesse de célébrer la différence mais au fond, elle ne la supporte pas vraiment. Le film, lui-même, est victime d'a priori : parler de « femme à barbe », réduire un être humain à cet attribut, n'est-ce pas très réducteur ?.
Pourquoi teniez vous à tourner de façon chronologique le film?
Je voulais que mes deux personnages, Abel et Rosalie se confondent un peu avec leurs acteurs, qu'ils se sentent un peu peu à peu comme dans le film et .je ne voulais pas que les acteurs se rencontrent avant le tournage. Bon, dans les faits, ca pas trop marché parce qu'ils se sont vus à Cannes peu de temps avant car ils avaient chacun un film en compétition, mais ils m'ont promis qu'ils ne s'étaient pas trop approchés ( rires)
On a tourné dans l'ordre chronologique parce que vraiment, je souhaitais que Nadia et Benoît se découvrent tout au long du film, pour faire naître lentement, comme leurs personnages, les sentiments et le désir
Merci a Pathé , Ecrans Mixtes Gaumont et Fabrice SCHIFF pour les photos
Rosalie en salles le 10 avril prochain